GOING AWAY
Je vis en permanence entre deux points. Je suis Français, c’est ce qui est écrit sur ma carte d’identité, je suis Québécois, de par le lieu ou j’ai grandi, appris à parler et à marcher. Ma culture est surtout nord-américaine, mais je vis en France. Je suis un Québécois en France, mais un Français au Québec. J’habite à Nantes mais je travaille à Paris et plein d’autre villes, sauf celle où je vis. Tu pourrais me croiser dans une gare en train de dormir sur un banc dans un coin. Ou en train de siroter un café dégueulasse sorti d’une machine et beaucoup trop cher pour être vrai. Je me balade un peu partout. Il y a deux ans, je vivais à Montréal, sur le «Plateau Mont Royal». Tu aurais pu me voir rentrer chez moi sur la rue St Hubert, ou me balader rue Saint-Denis, à la recherche d’une excuse pour dépenser des dollars. Je travaillais dans le cinéma, tout allait bien. Je prenais du plaisir. Même quand l’hiver était rude, je regardais par la fenêtre, une tasse de café à la main et puis je savais que ça allait passer. Mais mon visa s’est terminé, puis les travailleurs autonomes comme moi, ça ne fait pas rêver les responsables de l’immigration canadienne, fait que le 8 septembre je suis rentré dans un avion en chantant du Robert Charlebois «Si j’avais les ailes d’un ange, je partirais pour Québec…»
Un an après ce retour précipité, l’envie de retourner voir les rues quadrillées de Montréal se faisait sentir. Après trois clics sur les internets, j’avais mon billet en poche pour repartir, pendant un mois, dans ma belle province. Je dis aux gens que je pars en vacances, que je rentre «à la maison», que je vais ramener des bêtes de photos. Les gens qui me connaissent mieux, savent que je pars à la recherche d’autre chose, quelque chose de plus profond, la raison pour laquelle Montréal est si importante pour moi. Je pars pour me trouver, en tout cas me chercher, parcourir les rues vides à la recherche de moi-même. Un mois, c’est court pour se trouver. Too bad, c’est tout ce que j’ai. Bienvenue dans mon voyage à l’intérieur de moi-même. Je ne te dirais pas où on peut manger les meilleurs burgers de la ville, je m’en excuse.
! Les portes automatiques des aéroports. C’est tout un symbole. J’ai déjà attendu des deux côtés des ces portes-là. J’ai été attendu, et j’ai attendu que quelqu’un apparaisse enfin. Quand tu regardes le panneau des arrivées et que tu sais que l’avion a atterri, que des gens sortent mais que ce n’est jamais la bonne personne. Elles se sont déjà ouvertes pour me laisser rentrer dans la foule de gens impatients avec leur sourire énorme et leur bras tendus, puis elles se sont refermées sur moi parfois, les bras étaient plutôt crispés et les sourires avaient disparus. Les portes automatiques des aéroports. Le point de départ. J’embrasserai le sol une fois les portes passées, je prendrai la voiture. A moi Montréal, enfin «à la maison».
Quand tu attends quelque chose avec une grande impatience, tu as tendance à être déçu. mais je ne le suis pas. Je vois la ville qui défile sous mes yeux alors que je la regarde par la fenêtre de la voiture. Le 1000 de la Gauchetière/ Place Bonaventure, plus haute tour de Montréal, le Centre Bell (la patinoire), là où les grandes choses se passent, la rue Sainte Catherine, blindée de monde qui remplit les magasins. Puis on remonte vers le Plateau Mont Royal, plus humain, moins «américain», plus doux, les petits magasins, les petits cafés sympas où tu te sens chez toi, les gens qui te disent bonjour/allo, au revoir/bye, de rien/bienvenue. C’est plus cool, plus coloré, bientôt la fin de l’automne, les feuilles tombent et colorent le bitume. Montréal c’est une grosse ville à taille humaine. Les tours d’habitations sont rares. Tu sentirais l’effervescence des gens, leur créativité, leurs idées folles, et leur volonté de croire que, encore aujourd’hui, tout est possible. Et c’est fabuleux. Fabuleux parce que chez nous on te demandera ta formation, ton expérience et ton âge avant de chercher à savoir de quoi tu es vraiment capable. C’est fabuleux de croire que, on peut y arriver. Ca va le faire. C’est moins stressant. Tu dors mieux. Et quand tu arrives d’un autre pays, c’est la chose à laquelle tu t’attaches le plus vite, de te dire, «je peux le faire, moi aussi». J’ai attendu ce moment pendant plus d’un an, et je ne suis pas déçu. Je suis déboussolé. Tout est là. A la même place. Rien n’a changé. Je retrouve même des vieux meubles à moi chez mes amis. Je ne sais pas si je m’attendais à de grands changements en si peu de temps mais je ne m’attendais pas à ressentir que c’est comme si j’étais resté un peu.
Pendant le mois où je reste à Montréal, la ville est à l’inverse de moi. Elle se referme sur elle-même pour aborder l’hiver. Je m’ouvre pour mieux absorber l’énergie qui s’offre à moi. L’hiver va faire souffrir la nature, les parcs que tu peux trouver partout dans la ville se ferment, les habits se réchauffent, les bonnets sont de sortie, les couleurs ternissent, le soleil est la seule chose qui essaie encore de lutter. Les gens savent que des mois difficiles arrivent. Après la cueillette des pommes, qui permettra de faire les tartes aux pommes pour l’hiver, on rangera le jardin, mettra les pneus d’hiver sur la voiture. La neige arrive, et avec elle, le manque de lumière, le grand froid, un peu de solitude. Un matin, je pars sur l’ile Jean Drapeau, là où l’été, la musique électro fait se bouger les foules pour les plus que fameux piknik-électroniques, là où il y a le circuit de Formule 1 Jacques Villeneuve, le casino, La ronde: parc d’attraction situé en dessous du pont Jacques Cartier, où tu entends les cris des enfants en été. Mais à cette saison-là, il n’y a personne, juste quelques marmottes, pas mal d’écureuils et parfois un renard. De là où je suis, je vois la ville, du vieux port jusqu’à la croix située en haut du Mont Royal, qui s’illumine la nuit, comme pour nous rappeler que quelqu’un veille sur nous. Il n’y a pas de bruit. J’observe l’immensité de la ville dans un silence désespérant, entouré de parkings encore remplis à craquer il y a un mois. Il n’y plus personne dans les guérites. Il y a moi, assis sur un banc, puis le Saint Laurent, Montréal, les buildings et les briques. Si j’aime cet endroit c’est que c’est ici que j’y ai fait mon premier tournage, c’est ici que tout a commencé pour moi. Mes grands rêves de cinéma, d’être un français pour qui ça marche en Amérique. C’était presque à la même période, deux ans auparavant. Et rien n’a changé.
Downtown, le quartier des affaires, Chinatown, les grosse boutiques, l’effervescence et l’omniprésence de l’argent. La petite Italie et les restos aux odeurs charmeuses, le Mile-End décoré des plus beaux fixies que j’ai pu voir, les tatoueurs du quartier latin, le vieux port pour les touristes en manque de photo et de souvenirs, le stade olympique, la tour inclinée la plus haute de je sais plus trop quoi, Pie IX l’ancien quartier des Hells Angels. Je passe partout. J’observe. J’me souviens. J’me rappelle que je suis déjà passé par là, ou je crois me rappeler, mais mon jeune âge de l’époque m’ empêche de me souvenir. Je photographie avec mes yeux. Je retrouve des vieux amis, qui par le biais d’un statut Facebook me propose de se revoir autour d’un bière. Je passe voir la maison de mon enfance. Je bouffe toute la bouffe que j’ai voulu bouffer pendant cette année de retraite en France. Brunch, burger à trois steaks, pancakes, burger à quatre steaks, sirop d’érable, muffins, donughts chauds sortis du four, gâteau au chocolat deep and delicious, les fameuses poutines, smoked meat, hot-dog all dressed, macaronis au fromage, les poitrines de poulets de chez Romados. Je visite les places qui m’ont manqué, je vais jusqu’à Québec, puis Sherbrooke, me perdre jusque dans la campagne de Coaticook ou au détour d’un cimetière complètement paumé je trouve les premiers flocons de neige. J’ai été partout où je voulais aller. J’ai fait tout ce que je voulais faire. Mais je ne me suis pas trouvé. Dans toutes les places où j’ai été, j’ai trouvé un arrière- goût de déjà-vu, un peu de nostalgie, et puis beaucoup de joie parce que j’aime toujours autant revenir là-bas. Montréal, on te le dira, c’est une place où il fait bon vivre, on s’y sent bien. La qualité de vie est incomparable et même l’air semble pur.
Mon voyage, il m’a fait comprendre que je vis dans l’entre deux points. J’ai besoin d’être d’ici et de là-bas, je suis comme ça. Je voulais partir à Montréal pour revoir la belle province. J’ai vécu là-bas les plus belles années de ma vie, mais si rien n’a changé, moi j’ai changé. Je suis autre part où je fais d’autres choses, avant d’y retourner, plus tard, quand ce sera le bon moment. Que ce soit lors de mon départ lorsque j’étais très jeune, ou il y deux ans quand on m’a demandé de partir précipitamment, je n’ai jamais pris le temps de regarder Montréal en face et de lui dire BYE. Et assis sur mon banc de l’ile Jean Drapeau ce jour-là, j’lui ai fait une bise. Je ne me suis pas trouvé dans les rues quadrillées de Montréal, parce que Montréal c’est moi. Bisou ma belle, Montréal je t’aime.
Photos et texte : le Dude
Article en partenariat avec le magazine Dasswassup
Interview réalisée par Valentin Porcher
