Adult Jazz, sublime bric-à-brac
Par les temps qui courent, rare est l’impression du jamais-entendu, comme si des styles et des rythmes s’adonnaient à cœur joie dans une mécanique orgiaque. On se souvient d’Alt-J et de son impressionnante vague qui avaient éberlué – et le font encore – bon nombre d’entre nous avec leurs arrangements visionnaires et leur goût futé pour la réinvention. Un mélange de genres à en plus finir, un tohu-bohu de sonorités virales et acérées, intensément jouissives, qui formait l’un des groupes les plus intéressants de ce début de millénaire. Mais comme un miracle n’arrive jamais seul, c’est toujours en terre britannique – une fois de plus –, qu’Adult Jazz sort de la masse avec son nom franchouillard, un rien pompeux, pour dénuder autant d’influences que le triangle de Bristol. Il y a quelques temps, un magnifique double single « Am Gone/Springful », sorti chez le très indépendant Spare Thought, brillait sur les arcanes déjà bien inextricables du jazz. C’est donc avec plaisir inconditionnel que l’on accueille le chef-d’œuvre « Gist Is », premier album d’une inventivité débordante, d’une élégance rayonnante, d’un charme fou qui frôle la démagogie.
Quelque part entre le folk, le blues, le jazz – et d’autres genres dont on ne soupçonnait pas l’existence – la musique des jeunes gens de Leeds associe tant qu’elle dissocie. Elle acquiert une résonance tumultueuse au fil des pistes, un crescendo bancal qui surprend sans cesse. Quand on croit que tout s’écroule, tout se redresse aussi vite que ces petites figurines, déformées et lasses, que l’on redresse ensuite par un coup de doigt. Leur intelligence se trouve dans la volonté inédite de créer puis disposer leurs notes, brèves et simples, au service de la temporalité musicale. Leur musique ne se joue pas, elle se pense, comme pour le jazz. Ils préconisent l’enchainement incongru, l’effervescence abusive. Nous entendons les magnifiques « Pigeon Skulls » et « Idiot Mantra » faussement handicapées, comme en rééducation. La voix de Harry en est le chef d’orchestre, elle vire dans les aigus, se confond souvent au bruitage pour ainsi construire un ensemble loin de l’attendu. Le groupe fait du recyclage, transmute les instruments. Des guitares affolées, des percussions éparses, un trombone, des claquements de mains, un saxophone, des sons métalliques, tout est sens dessus dessous. Leur univers peut semblait imperméable, même un peu rude, mais l’apprivoiser ne permettra qu’à élever leur plus belle tendresse.