L'art au temps des réseaux sociaux
Échange avec Pedro Richardo
Figure incontournable de la scène nantaise et membre chevronné du collectif « 100 pression », Pedro a habillé de son univers coloré et onirique un nombre incalculable de murs, à Nantes évidemment, mais aussi bien au-delà de ses frontières.
Un parcours d’une quinzaine d’années et une expérience longue comme le bras, faite de créations, bien sûr, mais aussi d’inspirations, d’échanges, de liens humains…
Dans le cadre de cette nouvelle collection, il nous a paru pertinent de discuter avec lui autour du sujet préoccupant qu’est l’hyper-communication, omniprésente sur les réseaux sociaux, et dont le milieu artistique n’est pas exempté. Lui a pris le parti de s’en tenir complètement à l’écart, malgré la cohue ambiante.
On a retrouvé l’artiste dans son nouveau chez lui, au calme, juste derrière la dune de Saint Gilles Croix de Vie. Une vie plus proche de la nature, entre créations, potager et sessions de surf.
Peux-tu te présenter en quelques mots ? Comment définirais-tu ton travail ?
Je m’appelle Pedro, je suis artiste peintre muraliste à mon compte depuis 15 ans. Je suis un jeune papa, passionné de musique et de surf, je vis actuellement sur la Côte Vendéenne. Je fais partie d’un collectif depuis plus de 10 ans qui s’appelle « 100 pression », nos locaux sont situés sur Nantes à Pol’n. Mes influences sont larges, elles s’étendent de l’art dit “primitif”, aux artistes graffitis, tout en passant par l’art moderne, la bande dessinée et le cinéma. C’est difficile de définir son propre style. Je le présenterais comme un travail mêlant illustration, couleurs, aux influences art déco, matières et textures, le tout imaginé comme des scènes de vie synthétisées en logotype.
Qu’est-ce qui t’a amené à travailler dans l’espace public ?
À proposer des murs ?
Il y a plusieurs raisons. La première c’est que pour ma génération la peinture a beaucoup lieu dehors, sur les murs. C’est dur de dissocier la peinture de la peinture murale. J’aime bien peindre des murs aussi parce que c’est un super support, c’est un travail photographique. Et puis j’ai grandi avec toute l’imagerie du skate et de New-York donc cela fait partie de mon univers.
Est-ce que internet ne
serait pas devenu un nouvel espace public justement ?
Si, tout à fait, c’est le nouvel espace public. Je ne suis pas graffeur, mais quand j’ai commencé, que ce soient les magazines ou les bombes, tout était difficile d’accès. Pour le meilleur comme pour le pire, internet a démocratisé tout ça. Aujourd’hui on peut communiquer, voir le travail d’artistes à travers le monde en deux coups de clics et ça c’est assez génial. Après il ne faut pas que ça soit au détriment du réel, des expos ou des murs.
Qu’est-ce que tu penses de l’influence que peuvent provoquer les réseaux sociaux sur les artistes ?
On discutait avec des collègues de l’atelier sur ce sujet, et effectivement le rapport avec les "likes" peut vite changer le travail d’un artiste et même frustrer. Quand on travaille sur Facebook ou Instagram, il faut une production sans cesse renouvelée, qui se retrouve noyée dans la masse. Cela influe forcément car c’est très mercantile. C’est à double tranchant je trouve.
Et est-ce qu’au final ça n’uniformise pas le monde de l’art ?
Je pense que le travail d’inspiration est nécessaire pour se forger une identité artistique. Après le problème c’est quand cela devient un automatisme de voir ce qui se fait à travers le monde. Je crains que ça nivèle vraiment vers le bas, que ça manque de recul. Quand on regarde les blogueur.euse.s et les influenceur.euse.s, c’est une course au contenu. Si tu n’as plus le temps de réflexion, ni de création, qui sont pourtant des moments de silence, de poésie et d’erreur même, tu te retrouves à produire des choses creuses et cela nous arrive à tous. Internet a écrasé le temps et l’espace.
La notion d’occupation de l’espace public, d’interactions avec un vrai public a été mise au second plan par le virtuel selon toi ?
Cela reste effectivement qu’une image, tout est mis à plat donc les gens ne se rendent plus trop compte de la valeur travail. Ce que cela implique derrière, comment c’est fait, la dimension d’un mur, le médium utilisé, par exemple le travail d’huile et d'acrylique ce n’est pas la même chose.
Le fait que tu sois un peu distancié des réseaux sociaux est un moyen de militer contre ça ?
Je ne pense pas que ça soit du militantisme, moi je suis un assez mauvais communicant de manière générale. Mais je publie du contenu de temps en temps, quand ça me fait plaisir et parce que ça reste une interface intéressante, un outil de partage. Devoir produire pour produire, je n’ai pas envie de courir à ça. Je pense que je ne publie même pas 10% de ce que je peux produire. Cependant j’ai eu des collaborateurs, j’ai travaillé avec Olow et avec pas mal de gens, c’est aussi une manière de se diffuser, d’avoir des partenaires.
Ce sujet de recherche de notoriété sur les réseaux sociaux qui va influer sur ton travail, c’est quelque chose que tu as vu évoluer autour de toi, de tes amis ?
Je pense que cette notion de personnage public, de rêver à être connu, a toujours existé. J’aurais du mal à juger les autres parce que j’en suis aussi. C’est toujours gratifiant quand on voit que notre publication fonctionne. Après, le leurre c’est de ne voir que par cette lorgnette-là. Et effectivement je suis parfois surpris par rapport à un travail que j’estime, des artistes que j’admire beaucoup, de voir qu'ils sont assez peu suivis. Même si ça ne change en rien la qualité de travail en tant que tel.
Est-ce que ça a changé ta perception du milieu
de la création artistique en général ?
On peut parler de l’industrie musicale. Aujourd’hui c’est très dur de gagner sa vie, avec uniquement des plateformes comme Spotify, Deezer, qui sont un peu les pendants d’Instagram pour la peinture. En revanche, ça pousse les créateurs à faire de la scène, à innover sans cesse donc quelque part c’est positif car ça invente de nouvelles formes. Ça démocratise et permet de rencontrer des artistes qui sont à l’autre bout du monde, de voir des travaux que tu n’aurais jamais pu voir de ta vie, même si tu ne les verras pas forcément en réel. Il ne faut pas condamner les outils numériques, ils apportent énormément. Il y a de vraies choses à construire en termes de propos d’exposition et de propos artistiques.
As-tu des projets à venir dont tu voudrais nous parler ?
En ce moment je travaille dans mon atelier, on prépare également une fresque avec le collectif au skatepark le Hangar à Nantes. Je travaille aussi sur une aire de jeux et bien évidemment sur des visuels pour Olow.
