Mioshe, La Sarabande
C’est au 7 rue Porcon de la Barbinais que je retrouve Antoine Martinet alias Mioshe. La température à l’intérieur de son atelier est aussi glaciale qu’à l’extérieur mais les bouclettes dorées et la mine chaleureuse de cet artiste filiforme réchauffe d’emblée l’atmosphère. Le parquet craque, les mots se transforment en nuage de buée laissant apparaître un arc-en-ciel de réponses…
Comment définirais-tu ton style ? On t’apparente souvent à des artistes comme Jérôme Bosh, Blu ou encore Nicolas de Crécy… Quelles sont véritablement tes inspirations ?
Alors oui Bosh, Blu, Nicolas de Crecy, c’est des références que j’ai toujours eu mais aujourd’hui c’est entrain d’évoluer vers autre chose… Nicolas de Crécy c’est un bédéiste qui fait des BD complétement dingos, surréalistes et en fonction de l’univers dans lequel il est, il déploie des techniques différentes. Par exemple, il va faire des scènes dans la neige, il va utiliser des pastels gras pour faire le grain du paysage. Il va se retrouver à faire des scènes dans le désert, il va gratter avec de la plume. Le mec change de techniques en fonction des univers. Je sais pas pourquoi je parle de De Crécy, peut être aussi parce que c’est le frère d’Étienne de Crécy. Bref lui il m’a bien marqué! (Plus Nicolas que Étienne). Jérôme Bosh, lui c’est un artiste à l’ancienne. C’est l’histoire de l’art, la renaissance flamande, c’est de l’art à la fois religieux et en même temps complétement barjo. Il arrivait à détourner l’art religieux tout en restant dans la religion. Les scènes infernales de Jérôme Bosh où tu retrouves des personnages chimériques mi-homme mi-animaux dans l’enfer, je pense qu’a l’époque ça devait faire flipper! En ce moment je suis plus inspiré par Charles Burns, faut que tu ailles voir c’est démentiel ! Lui c’est complétement barjo aussi ! Il a fait une BD qui s’appelle « Toxic », une « La Ruche » et une autre « Black Hole ». Il a un univers hallucinant ! Ce qui m’intéresse c’est les atmosphères de ces artistes là ! Je suis pas mal dans le paysage depuis 2, 3 ans, avec au milieu des personnages qui font des trucs bizarres. Et les artistes dont je te parle ce sont des gens qui sont beaucoup dans le paysage aussi. Ils mélangent personnages, paysages, et créent des interactions entre environnement et individu.
Mes personnages ont tendances à ressembler à des espèces de chimères, ils sont masqués la plupart du temps. On ne sait pas trop si c’est des hommes ou des femmes, ils sont à moitié transsexuelles. Et ils ont aussi des caractéristiques empruntées aux animaux. En fait j’aime bien quand il y a de l’ambiguïté dans ce que je représente. Ils sont généralement assez cruels entre eux mes personnages. Déjà y en a toujours un qui est plus grand que l’autre, qui écrase, ou essaie de pervertir l’autre, avec un rapport de puissance marqué. Je prends un malin plaisir à jouer avec ça. L’idée est aussi d’être dans le suggestif pour laisser la suite de la scène libre à ton imagination…
Mioshe a la signification de « sauveur » en anglais, ce serait un dérivé de Moses (Moïses en anglais). Ton nom Mioshe ça vient de là ou c’est un rapport avec le mot « mioche » ?
Alors au début c’était Mioshe avec un « c », j’ai commencé par le graffiti quand j’étais au lycée dans les années début 2000 et j’étais le plus jeune de la bande. Du coup le surnom de Mioshe est venu naturellement, ils avaient tous 5 ou 10 ans de plus que moi. À l’époque c’était le crew B2M toujours plus ou moins actif, les membres sont aujourd’hui éparpillés à droite à gauche. C’est avec eux que je me suis forgé. J’ai surtout appris à peindre en grand. On a fait des fresques très vite sur des grosses surfaces dans des terrains, et à la bombe. La bombe c’est un truc, ce n’est pas inné, ça vient avec la pratique. Après le « sauveur » non j’ai pas la prétention de sauver qui que ce soit. (Rire) Il me semble que c’est un nom juif quand tu mets un « s ».
Tu as participé à des ateliers avec des détenus de la prison Rennes-Vezin. Qui est à l’initiative de ce projet ? Et pourquoi avoir accepté ?
L’initiative vient de la prison de Vezin. Ils proposent une multitude d’ateliers. J’ai toujours fait des ateliers avec du public que ce soit des scolaires ou même des jeunes en difficultés sociales. Bizarrement j’ai plus galéré dans des centres avec des jeunes qu’en prison… En prison l’ambiance était hyper cool. Les gars de toutes façons, ils ont le temps… Ils ont vraiment joué le jeu quand je suis venu, et ils étaient plutôt précis quand on faisait de la peinture. On a aussi réalisé toute une série de collage dans les murs. On a fait des passes murailles, des personnages qui rentrent et qui sortent des murs. Pour le coup c’est assez symbolique pour l’univers carcéral. Après ils n’étaient pas tout le temps à fond parce que la concentration, ce n’est pas tout le temps ça. Donc pour se concentrer les gars ils fumaient des pétards. En prison ça fume beaucoup plus qu’a l’extérieur… À la pause ils fumaient leur pet’, ils revenaient, tu n’entendais pas une mouche voler dans l’atelier et ils peignaient tranquillement… D’ailleurs ils disaient souvent « Au calme » « On fait de la peinture au calme » c’était trop bon ! J’appréhendai un peu cette expérience au début mais tout c’est super bien passé !
En mai dernier t’as réalisé une illustration pour le magazine français « GetFreaky », que tu as nommée ainsi d’ailleurs… Qu’as tu souhaité exprimer à travers cette œuvre ?
En gros c’est les femmes qui niquent les hommes, entre guillemets. Je ne suis pas féministe, mais ça me fait marrer de faire des espèces de femmes hyper grandes avec des jambes démesurées qui maitrisent des petits bonhommes. Si on remet la scène sur le tapis, c’est 3, 4 meufs masquées, qui ne sont pas complétement à poils, avec un petit monsieur à leur pied. Une a un arrosoir et l’autre prend en photo la scène. Ce qui est drôle c’est que l’acte d’arroser quelque chose c’est pour le faire grandir, mais là c’est carrément une noyade. Tu sens bien que le personnage avec sa petite cravate et son attaché caisse, c’est un personnage qui est censé avoir le pouvoir mais qui se retrouve dans la position inverse. C’est l’inversion des rôles que je trouve cool. Et puis c’est bien de donner du sens à ses dessins. Le décoratif pur c’est intéressant mais quand tu glisses un petit message strident c’est drôle aussi!
Quelle est la pire galère qui te soit arrivée dans la réalisation d’un projet ?
J’ai fait un mur avec Benoit Leray dans le cadre de « URBAINES Cultures, pratiques et tendances » cette année. Je crois que c’est le plus gros mur que j’ai fait. Ça se trouve à Cleunay, « Le Toboggan ». On l’a réalisé en février, le pire moment de l’année il pleuvait tout le temps, il faisait un froid de canard, et tout ça pendant 2 semaines. L’anecdote, on avait peint toute la journée, on commence à remballer notre matériel, puis à un moment je prends un pot de 15l itres de peinture, pour le ranger dans ma voiture… On était rincé, on en pouvait plus, on était au bout du rouleau, je sentais plus mes doigts, je sentais plus rien… Et là… y a le pot de 15 litres qui se renverse dans ma caisse, en plus c’est de la peinture qui vaut une fortune ! C’est de la peinture de pure qualité, une denrée rare, le pot vaut dans les 500 euros. J’ai mis 2 heures à nettoyer, dans le noir complet, c’était juste atroce.
Le 18 octobre dernier Le projet Pilot que tu as réalisé avec Elsa Quintin, était exposé au Parlement de Bretagne à Rennes. Malheureusement l’œuvre est restée exposée seulement une journée. Que représente les 2 polyptyques ? Qu’est-ce qui a motivé cette aventure ?
Le projet Pilot on a bossé pendant 4-5 ans dessus. Il faut savoir que le projet Pilot ces 2 projets. Mais quand tu les mets ensemble sa fait une continuité. Regrouper ça fait 16 panneaux. Chaque panneau fait 1m80 de haut par 50cm de large. Au Parlement on les avait présenté séparé, mais on s’est rendu compte qu’il faut présenter les dessins à suivre, pour faire un mur entier avec les 16 panneaux.
Le premier polyptique est une compilation de nos univers graphiques respectifs, avec des références à la BD, à l’histoire de l’art, à plein de choses ! Par contre le deuxième, rien à voir, c’est beaucoup plus prémédité. On a reproduit un montage photo qu’on a créée nous même. Avec des images récupérées, on a fait un paysage. C’est quelque chose de beaucoup plus calme. C’est un paysage, avec des canyons, de la foret. Tu as un enfant nu au milieu du lac avec un ballon de baudruche géant derrière, et une cabane avec de la fumée qui sort sur la droite. L’idée c’était de faire une scène un peu mystique, bizarre, à la Twin Peaks. Il ne se passe pas grand chose, c’est l’imaginaire qui va travailler en fait. C’est une scène assez cinématographique. Le montage photo de cette scène nous a pris peut-être 1 journée, et 2 ans pour la reproduire sur polyptyques. Et tout ça au stylo Pilot. On a du passer pas loin de 200 stylos.
Avec Elsa on s’est rencontré, on se connaissait pas, puis on s’est dit au lieu de faire des petits dessins chacun de notre côté, on va faire quelque chose de grand, ensemble. A 4 mains tu peux te permettre de faire plus de choses, et c’est plus motivant!
Tu viens à peine de terminer une sérigraphie en édition limitée pour nous. Apparemment tes personnages sont à la fête, un besoin de se lâcher en cette fin d’année ?
Alors oui, c’est des personnages qui sont sur un dancefloor en pleine nature. C’est mon fantasme de la fête, que j’aimerais pouvoir se voir réaliser plus souvent. La fête en plein air pour moi c’est quelque chose d’essentiel. Et l’idée c’était le danseur dans un paysage étrange. Ça m’amuse beaucoup de faire des danseurs, et tu peux voir en fonction de leurs postures leurs degrés d’avancement dans la soirée… (Rire)
Tu fais parti également des Djs des soirées RAW sur Rennes. Si Mioshe devait être un vinyle, il serait?
Une bonne vieillerie de LFO où un morceau de Madlib sur son album The Beat Konducta.
Merci à Antoine Martinet.
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