Nicolas Blum-Ferracci, le photographe digital
Nicolas Blum-Ferracci sort tout juste des Beaux-Arts de Nantes avec la volonté de naviguer dans le flux des images « post-Internet ». Artiste complet et conceptuel, sa dernière installation photographique présente un flux d’images sur 25m de long que le spectateur doit traverser pour se saisir de la série. Pour ce projet, Nicolas a sélectionné et décontextualisé les hommes et les femmes figurant dans les images qu’il dérobe sur le web en les faisant dialoguer avec l’histoire de la peinture occidentale. Mannequin pour notre collection Automne-Hiver 2015, c’est son cerveau rempli d’art et d’idées qu’il nous prête aujourd’hui…
Salut Nicolas, tu es tout juste diplômé de l’École Nationale des Beaux-Arts de Nantes Métropole. À la base, tu voulais te lancer dans l’Histoire. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
À la base j’étais en université d’Histoire pour aller à Sciences Po’. Quand je suis arrivé là-bas, je me suis rendu compte que c’était une sorte d’étoile du Berger. Je ne me suis même pas présenté au concours. Au même moment, un ami d’enfance m’a donné une toile et de la peinture. Un autre ami qui venait de l’université d’Histoire également, travaillait dans un atelier en commun. J’ai commencé à y aller avec lui et à appeler des artistes pour leur demander de les rencontrer. J’ai décidé de reprendre mes études post-bac, sauf que j’avais 27 ans ! Cinq ans ça passe très vite et nous voilà aujourd’hui et tout ce chemin m’apparaît encore long à parcourir !
Tu n’avais jamais pensé à être artiste avant ?
Avec la famille que j’avais c’était dur d’envisager cette possibilité. Je faisais simplement des croquis dans un carnet pendant mon service dans mon job alimentaire. Je n’avais pas de pratique du dessin et je ne connaissais pratiquement rien à l’art… J’ai trouvé ma voie par hasard en rencontrant des gens et en persévérant.
En 2012, tu as dû rester plusieurs mois alité à la suite d’une opération de la colonne vertébrale. C’est pendant cette période d’immobilisation qu’est venue ton inspiration autour du médium Internet. Quel a été le processus pour arriver jusqu’à ce thème de travail ?
Être alité pendant 4 mois à l’époque contemporaine c’est pouvoir lire, bien sûr, mais c’est aussi passer du temps sur Internet. C’était la seule activité que je pouvais avoir et ça m’a fait réfléchir à la relation que j’avais avec cet outil. Aujourd’hui nous sommes tous producteurs et récepteurs d’images, c’est la première chose dont je me suis rendu compte. Au début c’était très théorique, je réfléchissais et j’écrivais, puis sont sortis les premières pièces. C’est venu comme ça, au fil des années. Je n’ai pas vraiment choisi de travailler avec le digital et Internet, ça m’est apparu rapidement comme une évidence.
Selon toi, qu’apporte Internet au travail artistique et à la relation entre l’artiste et le spectateur ?
Il y a Internet, la source d’informations et il y a Internet qui se pose conceptuellement en fonction des enjeux qui lui sont propres. Par exemple, le fait de voir une image à travers un écran ou de voir en Chine et en France la même image au même moment… C’est la relation au monde qui m’intéresse et la base de données immense qui sert de matière première et de matière dérivée.
Pour ton installation « Série Noire », une série de photographies du corps humain sur fond noir, tu as commencé par travailler avec l’image de presse. Que raconte-t-elle de plus qu’une autre image ?
J’étais dans un travail sur l’apparence de l’être humain et sa carnation depuis presque un an. J’ai voulu emmener ce travail plus loin et ça faisait longtemps que je compilais des photos de presse qui m’intéressent pour leurs capacités et limites de la tentative de s’emparer du réel, de dresser un état du monde.
Comment as-tu fait pour passer de l’image de presse initiale à ce rendu final ?
Les corps dans le sport sont intéressants car ils sont avant tout photographiés pour le geste qu’ils fournissent. Je voulais créer une certaine irréductibilité à la description de l’action, les photos de sportifs sont intéressantes car elles me permettent d’instaurer un trouble.
Cette question de l’information est aussi vraie quand on regarde tes oeuvres. Par exemple, on ne sait pas si la photo est issue de celle d’un footballeur en action ou de celle d’un fusillé… C’est très fort. D’ailleurs, quel est le lien entre le corps pendant le sport et le corps dans le conflit ?
C’est très intéressant de parler du footballeur car son corps pourrait effectivement être celui d’un fusillé. Les corps dans le sport sont presque au même niveau que ceux dans le conflit ; ils sont très spectaculaires et soumis à une torsion, à une émotion forte. Ils sont photographiés pour le geste qu’ils fournissent.
En arrachant les corps de leur contexte, quel nouveau sens essayes-tu de leur donner ?
Je n’ai pas essayé de produire du sens ou de l’information dans ces images, ou plutôt dans ce qu’expriment les corps de ces images. Le sens est partout ailleurs, dans les autres signes, comme les gestes de découpes digitales ou l’absorption de certaines figures de la peintures classiques comme la Méduse, le statut d’étude avec lequel joue ces images, etc…
Tu as fait un voyage en Allemagne qui t’a beaucoup marqué et inspiré. Peux-tu nous raconter comment cela a impacté ton travail ?
C’était un voyage « d’études » dont le choix de lieux extrêmes m’intéressait. Il y avait les incroyables musées allemands, les camps de concentration et les châteaux rococo dans le style du film « l’année dernière à Marienbad » d’Alain Resnais. Des décors absurdes par leurs disparités. On basculait d’un musée à Dachau à un château et cette abondance de références était assez intéressante. C’est à ce moment que j’ai vraiment commencé à regarder la peinture. Ça a été un cap.
Les camps de concentration comme Auschwitz, par exemple, t’ont-ils aidé à réfléchir sur le corps ?
Ce qui m’a marqué à Auschwitz ce que la seule chose qui reste de vrai là-bas sont les arbres. C’est doublement la négation du corps ; la négation du corps des Juifs évidemment mais aussi celle du corps tout court. C’est sans vie, comme s’il n’y en avait jamais eu. Au même moment, je voyais la peinture flamande et la représentation du Christ dans les musées. Je trouvais intéressant qu’apparaisse cette figure dans mon travail, tellement elle était passée par un travail de représentation. Elle m’a permis de me pencher sur une représentation contemporaine et personnelle de la mort tout en neutralisant certains enjeux historiques et culturels contemporains.
Tu as été notre mannequin pour la collection Fall Winter 2015. Comment as-tu vécu cette expérience ?
Je n’avais jamais fait de mannequinat avant. J’ai été alpagué dans la rue et j’ai trouvé ça très drôle. C’était une expérience de curiosité et comme j’aimais bien les produits Olow… J’ai fait suffisamment de photos où je me mets en scène pour être à l’aise avec l’image que je peux renvoyer à travers la photo. Ça ne me dérange plus trop, je m’y suis habitué.
En quoi l’image de mode pourrait-elle être intéressante à travailler, dans le cadre de ton travail ?
Ça serait plutôt amener ce que je fais dans un projet mode plutôt qu’amener la mode dans un projet d’art.
Tu as déjà exposé à Nantes de nombreuses fois mais la Corée du Sud a également accueilli tes travaux. Racontes-nous comment cela a été rendu possible.
C’est très simple en fait, des amis coréens montaient une série d’expositions là-bas et ils m’ont proposé d’y envoyer des pièces. Comme j’avais un peu d’argent de côté je suis parti un mois et demi là-bas, j’ai participé aux 4 expositions et produit sur place, les gens étaient très ouverts et ça a été une expérience très enrichissante.
Où pourra-t-on voir ta prochaine exposition ?
À partir du jeudi 10 décembre, je serais à l’Atelier Alain Lebras rue Malherbe, près du château à Nantes. Il y aura un vernissage et ça durera 10 jours. C’est une expo en duo avec un ami peintre Justin Weiler. C’est la deuxième partie d’un cycle d’exposition ; la première s’appelait « on n’est pas là pour se faire engueuler » et celle-ci évidemment s’intitule « on est là pour voir le défilé » en référence à la chanson de Boris Vian.
Merci à Nicolas pour nous avoir accueilli chez lui pour cette interview.
Vous pouvez dès à présent suivre son travail sur son site internet et sur Instagram.
Retrouvez Nicolas en tant que mannequin sur tout notre e-shop.