Vietnam, sur les traces de mon histoire
La nuit est courte dans ce train que nous avons choisi pour joindre Nanning à Hanoi. Sorties répétées avec nos bagages aux postes frontières, coups de sifflets, attente… Mélange pour moi d’excitation, de curiosité et d’appréhension. Combien de fois me suis-je imaginé faire ce voyage au Vietnam ? Marcher sur les traces de l’histoire de ma famille…
La chose la plus frappante lorsque l’on passe de la Chine au Vietnam, c’est l’omniprésence tout à coup d’occidentaux. Nous sortons avec un léger regret de notre isolement. Ça parle anglais partout et nous retrouvons nos bonnes vieilles habitudes de surfer sans vrai but sur les réseaux sociaux, boire notre café au petit-déjeuner accompagné d’une demi baguette-confiture…
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Hanoi, où est né Léon mon grand-père est une ville agréable. Il y a de jolis endroits, des bâtiments coloniaux, des rues arborées où il fait bon flâner, des cafés à la française, des jeunes qui jouent au badminton sur des trottoirs… On se sent transporté dans le Vietnam d’antan et puis il y a ces tuks-tuks, sa belle cathédrale, ses nuées de scooters qui rendent difficile parfois la vie aux piétons, l’effervescence de son quartier des 36 corporations… Pour rejoindre Lao Cai au nord, j’expérimente pour la première fois un bus de nuit mais en plein jour… Ça fait drôle d’être allongé dans un lit à midi avec des vietnamiens assis en dessous de soi.
Balade en moto pour découvrir avec une certaine émotion mes premières rizières en terrasse. Armés de nos Kways fluos nous roulons sur ces routes sinueuses en lacet, déambulons dans le marché perdu de Can Cau, au milieu des buffles, des Hmongs fleuris et leurs superbes couleurs… Mangeons des soupes Pho’ hyper parfumées dans des conditions d’hygiènes parfois totalement désastreuses… Pas loin, à quelques kilomètres seulement il y a Bac Ha. Nous testons l’alcool de maïs en shot. A côté de nous, les hommes sont complètement saouls et titubent. Des animaux braillent, nous fermons les yeux, leurs conditions et leurs traitements nous font de la peine…
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De bon matin, et après avoir pris un homme en flagrant délit, littéralement la main dans le sac (de Cécile) nous prenons le bus direction Sapa, bruyante petite ville d’altitude. Trajet dur pour l’estomac. Ça tourne, ça tourne. Je sors discrètement un sac au cas où et ravale fortement ma salive sur les derniers kilomètres. Un peu de randonnée, un peu de moto, et nous voilà traversant des villages perdus de H’mongs Noir au milieu encore d’incroyables rizières. C’est vallonné, il y a des cahutes, des gens vivants dans l’obscurité, des enfants débraillés et en guenilles seuls aux bords des routes, des cris de porcs… Nous rentrons tous les soirs au milieu d’un brouillard à couper au couteau, avec ces « hello » résonnant dans nos têtes, et ces sourires sincères… Ça change paradoxalement à l’attitude des vietnamiens ici, qui nous regardent à peine et ont toujours ce petit air hautain et désagréable…
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Nous voici maintenant sur la baie d’Halong, dont mon père m’a tant parlé… Il y a des pains de sucre de toutes les formes et des villages flottants. On aperçoit même des écoles. Un arrêt sur une plage. Une baignade. Des singes…C’est fou, je ne m’imaginais tellement pas ça comme ça. Sur l’île de Cat Ba à proximité, nous surplombons une forêt à perte de vue et nous imaginons transporté en Amazonie…Sur le retour deux hommes en débardeurs sortent les intestins d’un chien…
En route, cap vers le Sud. Premier arrêt : Tam Coc ou la baie d’Halong terrestre. C’est superbe, digne de sa réputation. Les pains de sucre se reflètent dans l’eau des rizières. Partout du vert pétant! Des vietnamiens coiffés de chapeaux coniques cultivent. C’est calme, il y a un air de campagne, des temples, des vaches aux allures divines. On est vraiment dans l’imaginaire qu’on se fait du pays. Un coup de vélo, une marche à pied… Des chiens gardent les cultures, et montrent les crocs. Nous nous retrouvons face à une armée d’une bonne dizaine, c’est effrayant…Côté ciel, c’est toujours gris et maussade. Nous avons à peine vu le soleil sur ces dernières semaines, c’est un peu déprimant.
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17h de bus plus loin, Hoi An ! Il y a des lampions partout ! Mille couleurs…Et enfin le soleil !!! Malgré le flot de touristes, nous prenons beaucoup de plaisir à flâner dans ces rues et sur les quais bordés de bâtiments colorés et coloniaux. Il règne ici une douceur de vivre incomparable. Les cafés et restaurants sont décorés avec goût et nous nous laissons tenter par un bon verre de vin… La nourriture vietnamienne est exquise et nous nous délectons pour une bouchée de pain de tout un tas de plats harmonieusement épicés… Un soir le cœur joyeux j’aperçois le croissant de lune à l’horizontal. C’est fou, on est vraiment à l’autre bout du monde. On dirait un énorme sourire ! Deux trois coups de pédale, on pique une tête à la mer, on se détend… Les journées reprennent de la lenteur et nos occupations se bornent regarder des gamins grimpant chercher des noix de coco, lire un bouquin, aider un pêcheur… En rentrant sous le soleil couchant, on prend parfois un raccourci dans les rizières et se prend une nuée de moustiques… Un jour, je pédale la bouche entre-ouverte, et j’en avale même un…Glurp…Glurp…
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Atterrissage à l’aéroport de Saïgon (OCMV) sous une chaleur écrasante. Ça fait bizarre d’être ici. Mon père, et la quasi-totalité de ma famille ont fuit dans les années 60 vers la France… Nous cherchons en vain l’ancienne maison de mon père…plus rien…remplacée par un hôtel de luxe… Tristesse, c’est un peu une partie de mon histoire qu’ils ont détruite en même temps. Nous trouvons quelques adresses de cafés restants de ses souvenirs, et son collège… Nous rentrons dans la cour. Pincement au cœur. Un midi nous mangeons avec son seul demi-frère resté là-bas. Devant une soupe, et les larmes aux yeux, il nous retrace avec beaucoup de nostalgie l’histoire de la famille.
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S’en suit alors le musée de la guerre, fait de photos et récits en tout genre. Tous profondément atroces. Nous ressentons le poids de l’histoire. Comment un pays a-t-il pu connaître une telle tragédie ?! Dans la rue du quartier routard, des infirmes vietnamiens, des infirmes américains tirant encore sur leur clope en souvenir d’un temps révolu, de la musique forte, des occidentaux braillards, des putes, des jeunes filles avec des vieux bedonnants, des cracheuses de feu… On dirait l’antre de l’enfer.
La veille de notre départ dans le delta du Mékong, petite séance de sport dans un parc. Une, deux ! Une, deux ! Allez on recommence… Des enfants imitent tout ce qu’on fait, c’est marrant… On se pose regarder les gens vivre, jouer au badminton, au volley, faire des arts martiaux…chanter… rire. Ça fait tellement de bien de voir ça.
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Ce car me berce, je suis exténué. À chaque fois que j’ouvre les yeux je suis sur un pont, sur un bras de rivière différent… Il y en a partout! Vraiment partout, comme des tentacules. On dirait presque un pays à part entière. Une eau marron, épaisse, laiteuse qui prend tout, envahit tout. Et des vergers tropicaux, des marchés flottants et aussi des enfants de la jungle comme on les a surnommés… Ici les maisons sont sur pilotis. Pour ainsi dire, c’est tout bonnement la brousse ! Un paysage qui ressemble tantôt à l’Afrique, tantôt aux tropiques. Les pistes sont orange. Et puis il y a cette mangrove si belle et effrayante. Ces rats et serpents au menu… Ces gens au physique inconnu…Cette couleur de peau, si noire… Le Cambodge est à quelques encablures de là. Apparemment on pourrait même y passer en quelques bonnes foulées. Demain, nous descendrons le Mekong en bateau, et boirons si tout va bien une bière au soleil couchant à Phnom Penh.
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