ITW – Caroline Karénine, l’art du détail indélébile…
Il est 18:00, la nuit commence à tomber, Caroline m’ouvre la porte de son studio de tatouage avec un grand sourire. Niché au coin de deux rues escarpées du 18ème, l’endroit nous plonge dans un voyage initiatique sans frontière. Un salon de tatoo aux allures de cabinets de curiosités asiatiques. C’est ici que tatoue chaque jour Caroline Karénine, tatoueuse de talent au style inimitable entre ornementalisme vintage et mélange des influences ethniques.
Amoureux de son travail d’une précision rare, nous lui avons posé quelques questions afin d’en savoir un peu plus sur cet art du tatouage qu’elle maitrise sur le bout des doigts…
Salut Caroline! Tu as commencé à tatouer très jeune… Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?
J’ai attaqué le tatoo à 17 ans alors que j’étais en école de graphisme. En parallèle, je tatouais un peu chez moi et ensuite j’ai tatoué dans un salon d’esthétique et en bord de plage. Il y avait peu de shop de tatoo à l’époque alors jusqu’à mes 20 ans, j’essayais de garder un lien avec le tatoo comme je le pouvais. Bien sur, je suis allée voir d’autres studios de tatoos à Montpelier mais il n’y avait pas assez de travail à l’époque pour que je puisse les intégrer à plein temps.
A l’âge de 20 ans, j’ai poursuivi mes études en intégrant une fac’ d’histoire de l’art mais je me suis assez vite rendue compte que j’allais y perdre mon temps. Alors, j’ai trouvé une boutique de tatoo où je suis restée deux ans, ensuite je suis partie à Nimes chez Insolite tatoo et là j’ai continué d’approfondir la technique notamment avec le réalisme gris.
Puis, je suis partie chez Tribal Act à Paris en testant tous les styles (réalisme enfantin, réalisme couleur, illustrations…etc.), sans jamais tomber dans le style traditionnel, je n’ai jamais vraiment aimé ça.
Par la suite, j’ai commencé à beaucoup voyager seule. Je suis partie dans le Sahara tunisien et j’ai eu comme une sorte de déclic grâce aux motifs berbères. Avant ça, je voulais acquérir une technique vraiment fiable puis en rentrant, j’ai eu à réaliser une planche de flash tatoo pour un magazine. Ma manière de dessiner a complètement changé et il en est sorti ce que je fais actuellement. A partir de ce moment là, j’ai commencé à me livrer davantage dans mes dessins et à m’exprimer davantage personnellement.
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Avant d’arriver dans l’univers du tatouage, dessinais-tu beaucoup ?
J’aimais dessiner mais je dessinais vraiment très mal, ce n’était pas un don chez moi. C’est beaucoup de travail, c’est encore et toujours beaucoup de travail. J’ai toujours aimé dessiner, c’est peut-être ça qui m’a donné envie de dessiner chaque jour et de progresser davantage.
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Qu’est-ce qui t’a attiré le plus dans l’art du tatouage ?
Très jeune, j’ai accompagné mes frères se faire percer à Avignon. Lorsque je suis arrivée dans ce salon, j’ai eu comme un déclic. Je me suis rendue compte que le travail n’était pas seulement une corvée mais qu’on pouvait allier vie professionnelle et passion. J’aimais la liberté que je sentais chez eux. Ils cassaient tous les codes visuels, esthétiques et professionnels. Dans ma tête, il est resté l’envie d’avoir un travail qui me rende libre.
Vu que je dessinais depuis toute petite, j’avais envie de faire quelque chose avec le dessin tout en étant lié au corps.
Habitant un petit village dans le Sud, mes parents étant complètement étranger au milieu de l’art et du tatouage, je me suis dit que pour y arriver, je devais faire une école de graphisme. D’entrée de jeu, ça ne m’a pas plu mais j’ai fait un stage chez un tatoueur et ça été un second déclic. A la fin de ce stage, j’étais sûre que je voulais devenir tatoueuse.
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Tes inspirations sont très ethniques et tes tatoos sont d’une précision incroyable… D’où te vient ces inspirations ?
Mes inspirations viennent principalement de mes voyages et surtout de l’architecture notamment les sculptures, les temples asiatiques ou encore les pavés et les façades de Barcelone. J’aime les prendre en photos et ensuite m’en inspirer.
Aussi, les livres m’inspirent beaucoup, j’aime chiner de vieux livres dans les librairies.
Enfin, je tire aussi mon inspiration des tissus comme des vieux tapis, l’impression sur soie ou les costumes traditionnels mais également des bijoux pour les formes ornementales.
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Récemment tu as tatoué beaucoup de portraits de femmes d’ethnies différentes, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
La femme est un thème que j’aime beaucoup peut-être parce que je suis une femme et que je fais un boulot de mec.
Cela faisait longtemps que je voulais faire une série de portraits de femmes et la galerie d’arts Clémouchka à Lyon m’a proposé une exposition collective sur le thème du féminisme. J’étais en parallèle à fond dans ma série « Femmes du Monde » et grâce à cette expo, j’ai pu vraiment approfondir et donner un sens à cette série.
Je pars toujours d’une base de femme, par exemple africaine et ensuite dans les motifs autour, je vais m’inspirer de n’importe quelle ethnie pour ne pas avoir quelque chose de trop identitaire. Cela représente comme une unité de différentes ethnies, une vraie femme du monde. J’aime apporter ce message politico-social dans mes tatoos.
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Si on veut absolument un tatoo Caroline Karénine.. Où est-ce qu’on doit se rendre ?
Aujourd’hui, je tatoue essentiellement dans mon studio parisien, dans le 18ème mais je garde aussi des guests en Suisse chez Drop’in à Lausanne et aussi cheze Purple Sun à Bruxelles. J’aimerais aussi faire d’autres conventions à l’étranger.
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Est-ce que tu refuses parfois des demandes qui ne correspondent pas du tout à ton style graphique ?
Oui, mais ça arrive très peu. Je suis obligée de sélectionner mais je sélectionne suivant la taille. Je vais préférer prendre un plus gros projet au détriment d’un petit projet.
Il faut qu’il y ait un feeling du début, au moment où j’ouvre l’e-mail ou je rencontre la personne jusqu’à la fin du projet. J’ai envie que ce tatoo représente vraiment quelque chose d’important pour la personne.
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Et toi, tes tatoos, par qui ont-ils été réalisés ? Ont-ils tous un symbole particulier à tes yeux ?
Je ne suis pas énormément tatouée. Je me suis fait tatouer par des personnes que j’apprécie. Un jour, j’aimerais avoir le corps entier tatoué mais j’aimerais une unité dans tous ces tatous, je ne veux pas tombée dans le tatoo patch. J’en ai fait un peu tout en me disant qu’un jour ils devront être recouverts ou modifiés.
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Nous avons collaboré avec l’artiste tatouer Supakitch, c’est toi qui l’a formé au tatoo, n’est-ce pas ? Peux-tu nous en dire davantage sur cette rencontre ?
En fait, on se connaît de Montpellier avec Guillaume (Supakitch) car nous avons pas mal d’amis communs. Nous nous sommes rencontrés avant qu’il parte à New York. Il m’a fait part de son envie de se mettre au tatouage et on s’est tout de suite bien entendus. Mon mec m’a suggéré l’idée de lui préparer un petit kit de tatoo. Je ne me sentais pas vraiment capable et légitime de former quelqu’un d’autre car ayant été formé à la vieille école, une formation était pour moi longue et fastidieuse.
J’étais très encouragée par mon ami et puis finalement je me suis dit que j’allais me lancer et former Guillaume, je lui ai alors envoyé ce petit kit.
Ensuite, nous avons passé deux semaines dans le même immeuble à New York et j’ai pu lui apprendre l’art du tatoo. Tout le monde a servi un peu de cobaye pour que Guillaume puisse apprendre à tatouer, ça s’est fait très simplement.
Ensuite, il a bossé chez Bleu Noir et puis je venais de temps en temps pour lui donner deux, trois derniers conseils. Mais il a été très bon tout de suite, il avait cette aisance de la ligne et une réelle passion pour le tatoo.
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J’ai remarqué que tu t’essayais à d’autres formes d’art ? Peux-tu nous en dire un peu plus ?
J’ai voulu un peu changé de supports afin que cette envie de mêler différentes cultures soit ouverte à tous, et non plus à une seule personne.
Je me suis essayée sur des toiles, et surtout des collages, des peintures dehors, dans les rues. Je me suis retrouvée grâce à ces nouveaux challenges. Je tatoue depuis douze ans maintenant, mes bases du tatoo sont bien établies et je ne ressens plus cette adrénaline. Il fallait que je recherche ça ailleurs et avec la peinture et le collage, je retrouve cette adrénaline. Je prends vraiment à coeur l’endroit où je veux poser mes collages ou mes peintures. J’aime me balader en ville pour trouver le spot parfait. Au Brésil, par exemple, je marchais dans la rue et je me suis dit « Bim mais oui c’est là, c’est parfait ! » et c’est à peu près ça tout le temps, c’est comme si tout s’accordait. Le premier collage que j’ai posé à Paris, j’étais avec une amie et j’avais seulement acheté la colle et là on fait 100 mètres je trouve un seau et un petit bout de bois. Ça a ce côté lâché-prise que j’aime beaucoup !
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Quel est ton rêve ultime ?
Merde ! C’est quoi mon rêve en tant que tatoueuse. J’aimerais continuer comme ça et voyager encore davantage pour le tatoo. J’aimerais beaucoup travailler au Japon, à Hong Kong… Maintenant que j’ai cet atelier, j’ai la chance d’avoir des conditions de travail optimums. J’aimerais pouvoir voyager et emmener ma petite fille avec moi mais je dois attendre qu’elle grandisse un peu plus pour qu’elle puisse s’occuper toute seule pendant que je tatoue. En fait, j’aimerais pouvoir me réserver des périodes de quelques mois pour voyager et tatouer dans le même temps comme des espèces de « roadtrip inspirationnels » qui me permettraient de poser l’inspiration directement.
Oui, voilà, je crois que ça, c’est mon petit rêve à moi !
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