« Au-dessus de Bordeaux, c’est le nord. » par Elisa Routa
« Au-dessus de Bordeaux, c’est le nord. » C’est ce qu’on m’a toujours appris. Du moins, c’est ce que j’ai toujours entendu de la bouche de ma mère, qui ressemble plus à une travailleuse immigrée en provenance du Maghreb qu’à une petite fille qui a grandi dans le Gers. Les cheveux aussi sombres qu’une semelle usée de chaussure, des boucles minuscules, éparpillées de façon dissipée sur la totalité de son crâne, tantôt sauvages, tantôt assidûment statiques, ma mère aurait pu naître de l’autre côté de la méditerranée sans interpeller le moindre regard. Incognito. Son caractère a sans doute trempé durant des jours dans une marmite d’hyperboles, portées à ébullition. Ma mère est aussi bavarde qu’un enfant qu’on rencontre pour la première fois et qui tente de nous raconter sa vie en un temps record. Dans les moindres détails, sans oublier ceux très embarrassants. Elle a un goût prononcé pour le soleil, ce qui lui vaut une capacité exemplaire à passer d’un teint blafard à une couleur plus brune que le bois d’Acajou en quelques minutes. Bref, évidemment « au-dessus de Bordeaux, c’est le nord. » Alors bien équipée, doudoune dans le placard du van, après-ski sous le siège et gants en laine qui sentent encore la chèvre de Mongolie, j’ai quand même voulu voir si au-dessus de Bordeaux, on se pelait les miches.
On longe le bassin d’Arcachon jusqu’à Andernos où on fait une halte au Beautiful Day Surf Store, accueillies par Christophe, dont la toison faciale n’a rien à envier à celle utilisée pour réchauffer mes deux mains. Puis, on s’aventure sur cette partie de France qui forme, malgré elle, un pénis atrophié au repos. On roule jusqu’au « Grand Crohot » puis jusqu’au « Truc Vert », on traverse ensuite le village de « L’Herbe » en se demandant s’ils ont finalement choisi de légaliser le Cannabis dans cette partie de la métropole ou s’ils ont l’humour écolo.
Nous voilà arrivées à l’extrême pointe de cet organe génital peu commun. Le Cap Ferret. Les bateaux ont remplacé les voitures dans les garages, les maisons sur pilotis sont apparemment à la mode, comme pour contrer un tsunami inévitable. On ne peut pas reprocher aux demeures d’être capricieuses tellement elles sont élégantes. Elles tranchent avec notre maison mobile à la carrosserie cabossée. L’eau est calme, les bateaux sont au repos et dansent un slow en solitaire en se faisant guider par les aléas du bassin. Nous éteignons le moteur face à la dune du Pyla qui trône sur la rive d’en face comme une pyramide d’Egypte prête à s’effondrer. Les roues sont encrées dans le sable et la déjà tête ailleurs.
J’attends le moment opportun pour sortir mon K-way vert pomme et mes bottes fourrées. Ce ne sera pas pour aujourd’hui. Je pense à maman. Le soleil se couche sur l’océan et se lèvera sur le bassin inondant alors le van d’une lumière orange, étonnamment très chaude pour une aube dans le nord. J’ouvre les rideaux en vichy bleus et assiste presque trop subitement à un spectacle inattendu dont mes yeux raffolent. Je réveille mon acolyte qui dort plus profondément qu’un bébé enfoncé dans son siège auto.
Voir le soleil se lever sur une vaste étendue d’eau comme celle-là est d’une beauté incomparable. On saute les pieds joints dans le sable froid, on court, alors certaines que l’univers nous appartient enfin. Le silence est savoureux. J’en ai la chair de poule et les yeux brillants. On fait chauffer le café sur le rebord en pierres qui borde l’une des maisons voisines en saluant le jour d’être aussi merveilleux.
Bref, le Cap Ferret nous a offert un accueil plus chaleureux encore que les cris aigus des youyou lors des festivités en Afrique du Nord. Je le dirai à ma mère.
Elisa Routa