Quand le prêt à porter devient social
Rencontre avec Charlotte cormier, responsable de l'atelier d'insertion atout-linge en Vendée (fr)
Photographies par Nina Ducleux
Lorsque nous avons lancé le projet de collaboration avec Joël Dagès sur l’ensemble Cosmos, rapidement s’est posée la question de la production. Dans une envie d’aller encore plus loin dans l’artisanat et le local, on a décidé de se tourner vers un chantier d’insertion. La mission de ces structures faisait particulièrement sens pour nous. Au-delà du fait que ça soit à 60km de Nantes, c’était aussi l’idée de s’intégrer dans une démarche sociale.
Cette collaboration nous a donné l’opportunité d’aller à la rencontre de Charlotte Cormier, encadrante technique chez Atout-linge, afin qu’elle nous explique, concrètement, ce qu’est un chantier d’insertion.
On a pu discuter avec Marie, jeune salariée chez vous qui construit son projet professionnel autour du textile et de la broderie. Ce que vous faites, ça peut être un tremplin pour le monde du travail, que ce soit pour des personnes liées au monde du textile ou non ?
Effectivement, le Chantier d’insertion est un tremplin avec pour finalité l’emploi ou la formation. L’objectif de notre mission est d’insérer socialement et professionnellement des personnes éloignées de l’emploi. A partir d’une activité de production, nous salarions des personnes en CDD d’insertion sur une période maximale de 24 mois. L’idée est de les mettre en situation de travail pour qu’ils retrouvent confiance en eux, découvrent les codes de la vie professionnelle, développent des comportements et des compétences sur le poste occupé et travaillent leurs objectifs sociaux et professionnels. Nous recrutons des personnes sans prérequis. C’est à nous, encadrants techniques de les former pour atteindre les objectifs de production et parallèlement de les accompagner dans leur parcours d’insertion.
Sur l’atelier confection, majoritairement, les personnes n’ont aucune expérience en confection et ne souhaitent pas poursuivre dans cette voie. Marie est une des rares salariées à être formée dans ce domaine et qui souhaite poursuivre dans ce secteur d’activité. D’autres comme Mickaël, ancien salarié, malgré ses préjugés et réticences à occuper ce poste, a décroché un CDI dans une entreprise de haute couture et revient tout sourire car fier de lui nous partager ses réussites.
Au final, on a un groupe très hétéroclite, avec des jeunes de 18 ans, jusqu'à des personnes de plus de 60 ans qui doivent attendre pour partir en retraite, qui peuvent être cassées par la vie du travail, soit physiquement, soit moralement. Notre mission c'est aussi de retrouver le calme, la sérénité et de chercher ce qui pourrait les valoriser au quotidien et leur faire prendre confiance en eux, parce que c'est souvent ce que ces personnes ont pu perdre.
Il y en a d'autres aussi qui n'ont jamais travaillé de leur vie et qui découvrent le monde du travail à 40 ans. Et ça, ce n'est pas facile. Intégrer les codes du travail, les horaires, la conscience professionnelle, tout ça, on le travail. On a des outils pour, parce qu'on fait passer un CQP salarié polyvalent chez Atout Linge. On a une méthode outillée spécial chantier d'insertion, où en fait, tout est prétexte à apprendre : le français, les maths. Par exemple, le patronage, ça les fait se former à la géométrie. Vu que c'est conceptualisé, ils ne se rendent pas forcément compte qu'ils font des maths. Dans la mesure où il y a un but, un objet derrière, ça permet de se rendre compte visuellement du résultat. C'est aussi ça qui, parfois, fait prendre confiance et qui est gratifiant.
Atout Linge existe depuis combien de temps ?
Atout linge a fêté ses 30 ans cette année, et ça fait 30 ans que c'est un chantier d'insertion, l'activité elle, est devenue plus plurielle avec plusieurs supports de production. Au démarrage, l’association a créé une blanchisserie c'était une blanchisserie puis ensuite, en 2015, l'atelier de confection. On a trouvé un partenaire qui avait des bâches, l'idée était donc de revaloriser ces chutes de bâches LA SOFAREB. On a eu ensuite un autre partenaire qui fabrique des vêtements de travail MULLIEZ FLORY qui a apporté le travail du tissu avec l’upcycling de vêtement en accessoire.
Puis, en 2022 a débuté une expérimentation autour du recyclage de vêtement professionnel, soutenu par des financeurs tel que l’ADEME, la CARSAT et la région pays de la Loire. Nous avons été Lauréat de l’appel à projet « économie circulaire » et avons ouvert notre atelier de recyclage textile en janvier 2023.
De mon côté, ça fait 7 ans que je suis là. Petit à petit, on a fait grandir cette activité de production. Quand je suis arrivée, la technicité et les process de production n’étaient pas clairement définis. Au début, moi-même, je me disais, "mais comment je vais apprendre à des débutants la couture en peu de temps avec des exigences qualitatives car nous revendiquons être sur du made in France ? ".
Tout ça, ça se construit au fil du temps. On utilise beaucoup le transfert des compétences des uns et des autres, c'est assez gratifiant pour la personne, et pour nous encadrants/formateurs, ça nous aide mettre en place une formation la plus complète possible. Sans compter le maintien du lien social, de l'interaction, c'est aussi ce que recherchent les gens.
On utilise beaucoup le transfert des compétences des uns envers les autres, c'est assez gratifiant
Est-ce que tu peux nous expliquer concrètement ce qu'implique un chantier d'insertion ?
Un chantier d’insertion doit être innovant car il doit répondre aux besoins économiques et sociaux du territoire, doit faire preuve d’adaptabilité car il accueille un public avec des problématiques diverses et il doit faire preuve d’une bonne gestion car l’aspect financier est complexe et puis il doit faire preuve d’une bonne réactivité car le monde est en mouvement permanent avec des exigences fortes et parfois brutales. Tout ceci requiert d’avoir une équipe solide !
Les personnes qui viennent ici, elles restent combien de temps, en général ?
La moyenne est de un an. Mais on fait un premier contrat de 4 mois, ça peut aller jusqu'à 24 mois maximum, sauf pour les jeunes, où normalement, c'est 6 mois, comme Marie. Après, quand il y a un projet professionnel, ou quand il y a vraiment quelque chose de concret à continuer à travailler avec nous, un vrai objectif, on peut reconduire de 6 mois supplémentaires. C'est un peu selon le besoin en fait.
Pour la plupart, ce sont des contrats de 30h, flexible jusqu'à 22h si la personne a un handicap ou autre, l'empêchant de pouvoir venir toute la semaine. Évidemment, c'est beaucoup moins flexible que d'autres ateliers de fabrication, les heures supplémentaires n'existent pas et on doit jongler avec les questions d'absentéisme qui sont assez fréquentes.
En parallèle, il y a possibilité de faire des stages ce qui est parfait parce que ça les projette vers l'avenir, vers une formation derrière par exemple. Il faut le dire, chez nous, c'est assez protégé, c'est bien de se confronter à la réalité, voir comment ça se passe à l’extérieur.
Le travail sur du textile comme ça, avec une marque, c'est quelque chose que vous faites régulièrement ?
Non, très peu. On a plus eu l'occasion de travailler sur de l'accessoire, des bavoirs, des sacs... Plein de petits projets en fait, j'en ai plein mes placards. Mais des projets tels que celui-ci, sur le vêtement, c'est quelque chose qu'on aimerait bien développer. Ça permet d'apprendre plein de choses à nos salariés, d'aller plus loin et différemment suivant les niveaux des personnes, c'est très intéressant.
Évidemment, un projet comme celui-là, vous devez être assez tributaires des politiques sociales de manière générale, ça se traduit comment concrètement ?
L’association est conventionnée par l’Etat et le Conseil Départemental. Ce sont nos partenaires institutionnels. Effectivement, nous sommes tributaires des décisions politiques qui se traduisent parfois par ce stop &go, ce fameux yoyo…. Nous devons nous adapter en permanence et nous ne sommes pas toujours sereins.
Globalement, on voit bien que la politique générale va vers l'idée que tout le monde doit travailler, mais il est important de comprendre pourquoi les gens ne travaillent pas et de les aider y arriver.
Ça doit sûrement être difficile de se projeter dans ces conditions, mais dans l'idéal, quelles seraient les perspectives pour la suite ?
À l'heure actuelle, c'est assez difficile d'imaginer un idéal. Mais déjà, nous on aimerait que ça se stabilise. On ne peut pas vraiment savoir de quoi demain sera fait. Globalement, on voit bien que la politique générale va vers l'idée que tout le monde doit travailler, mais il est important de comprendre pourquoi les gens ne travaillent pas et de les aider y arriver.
Les chantiers d'insertion sont importants c’est la première marche d'insertion. On porte un "diagnostic", on fait un bilan à la fin, on dit ce qui s'est passé chez nous, quelles sont les choses à travailler. Après, il y a une continuité à avoir. Il n'y a pas toujours toutes les marches de l'insertion dans les alentours. Et il arrive parfois que des personnes aient besoin d'entreprises adaptées ou encore d'une autre étape. Mais malheureusement, il y en a très peu sur le secteur, et tout dépend aussi du domaine d'activité.
