Chine, dans l’immensité du silence
Pas un bruit. Un peu comme quand il neige, que les sons n’arrivent pas à s’exprimer. À croire que le sable a aussi cet effet-là, on roule dans une ambiance feutrée. Juste le vent qui glisse en sifflant sur la carrosserie. Nous sommes arrivés au Nord-Ouest de la Chine il y a 5 jours et j’ai pourtant l’impression que ça fait des semaines. Le temps ne passe plus de la même manière quand tout n’est que découverte.
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La ville de Zhangye n’a pas un charme fou mais nous ne sommes pas venus pour elle. C’est plutôt une quête d’aventure qui nous a poussé si loin de tout. Traverser un désert quasiment jamais exploré par l’Homme. On vient en repérage, on sait que le périple peut échouer puisque nous n’avons pas d’infos sur cette destination. Obligé d’attendre d’être sur place pour déterminer les possibles.
J’accompagne Olivier Coste, un grand costaud imperturbable. C’est un homme d’action, il aime chercher l’impossible ou l’inachevé. Il aurait pu naviguer aux côtés de Christophe Colomb par exemple, enfin, s’il n’avait pas le mal de mer. Mais voilà, pour dire que c’est ce genre de gars que pas grand-chose n’arrête si ce n’est le bon sens. Je n’ai pas dit la raison, vous noterez la nuance.
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Le 4×4 s’élance dans une montée folle, notre chauffeur zélé trace une courbe aux limites de la dune, quelques mètres sur la droite et on passerait violemment de l’autre côté de l’arête en faisant des tonneaux. Il faut bien imaginer qu’il n’y a pas de demi-mesure autour de nous. Le vent façonne les sommets comme les tranchants de centaines de couteaux. On avait compris que le désert Badain Jaran était spécial mais on ne pouvait pas se douter de ce que l’on allait vivre.
On passe des remparts de sable qui aboutissent sur des lacs salés, avec la voiture c’est périlleux mais réalisable. Olivier pense à ce qu’il va affronter d’ici quelques jours. Quand je quitterai le pays, il se lancera dans son expédition, avec ses vivres et ses tripes pour toute compagnie. Des centaines de kilomètres à parcourir. Loin des emmerdeurs, des fausses informations, des guéguerres et des vraies guerres. Une bouffée d’oxygène dans cet air sec et poussiéreux.
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Je l’avais senti excité et anxieux pour son portage qui devait bientôt arriver. Cet engin, fabriqué de ses mains pour lui permettre de faire de longues distances en totale autonomie, des mois de travail, des années de réflexions et de tests. Et tout aurait pu s’arrêter là, soudainement : problèmes de douanes… le chargement avait été bloqué. Il avait fallu se résoudre à abandonner le projet… Mais non, l’énorme caisse arriva à notre hôtel et ce fut l’effervescence. On devint l’attraction de la ville, passant certainement pour de drôles d’excentriques. Ça nous avait fait bien rire et notre bonne humeur avait réveillé les élans du cœur. Chacun nous avait aidé comme il pouvait à mener notre voyage à terme. Une véritable vague de gentillesse parmi tous ces gens que l’on croisait. Peut-être parce qu’on venait chez eux avec un projet, qu’on ne suivait pas le traintrain touristique habituel en cherchant juste à claquer du pognon en hôtels luxueux. En même temps, ici, les hôtels luxueux, ils sont pour les chinois. Le pays s’ouvre lentement aux occidentaux dans cette région reculée, mais très lentement.
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Je sors de la bagnole et je pose les pieds sur les paillettes argentées. On ne s’enfonce pas. On se croirait sur la plage, quand l’eau s’est retirée et a laissé une étendue bien compacte. Le froid sec n’est pas très généreux, il tue les odeurs de sable chaud et gèle mes doigts sur l’appareil photo, en quelques secondes je ressens une forte douleur qui m’oblige à remettre mes gants. C’est intense. Je m’efforce de ne pas penser à ce que seront les nuits d’Olivier avec ces températures. On peut facilement tomber à -20 degrés sans soleil comme frôler les +20 en journée. Il a même neigé l’autre soir. Je m’étais toujours fait une idée de la Chine quasi tropicale, sorte de préjugé sur l’Asie en général. Je me trompais. On a beau être de l’autre côté du globe, ici aussi il y a des saisons.
On fait de sacrées bornes dans ce décor silencieux, on y mange, on y dort, on goûte à son ciel étoilé en bravant l’air glacial d’une nuit noire. Pas âme qui vive en dehors des dromadaires et de deux bergers. C’est un paysage de calme et d’éternité. J’en ai la chair de poule et je regrette de ne pas aller jusqu’au bout désormais. Je me mets à envier cet homme qui va vivre ces moments seul. Seul dans cet immense désert. Je le comprends mieux et je mets enfin des bonnes vraies émotions sur ce besoin d’aventure de bout du monde…