Les limbes charnels de Cory Hanson
Discret, modeste, passé presque inaperçu. L’album a affleuré l’année 2016 de la pointe de ses haies rouges. Un homme plongé dans le carmin, une main devant cachant son visage. La pochette de « The Unborn Capatalist From Limbo » engrange le mystère – comme son nom d’ailleurs – et résume ce qui fut (et l’est doublement aujourd’hui) l’un des albums les plus merveilleux que la Terre n’est jamais compté. Mélancolique mais sans trop remuer de bile, le Californien Cory Hanson réussi à se placer entre Ty Segall et Alex Turner sans singer leur art, s’étire dans un filet élégiaque de cordes et de sonorités pop soft qui nous transperce de toute part. « Je voulais faire un disque avec le moins de pièces en mouvement possible », me confie Cory. « Je voulais que le lien entre les instruments et le chant soit très clair. Les arrangements : notes sur une feuille ; et les chansons : guitare et voix. Les seuls réels ajouts étaient la batterie et la basse. C’est comme pour animer un corps avec un pouls et un mouvement. Il n’y avait pas d’embellissements de studio sauf pour les réverbérations. »
Une accalmie qui s’apprécie au milieu de tout ce marasme pestilentiel qui recycle les seventies. Cet album trop court est hors du temps, douillet dans une bulle qui ne cesse de voguer pour ne jamais s’éclater, même quand il atteint au firmament. Mais revenons à ce capitaliste des limbes, à ce titre qui titille notre curiosité et qui ne peut être victime que d’un sous-entendu ou d’une métaphore nourrie de l’actualité. À cette question, Cory me répond simplement et entretient son brouillard : « C’est à toi de voir. Je ne garde aucun secret. Tout est dans l’album, en clair. Les pas-encore nés, les limbes et le capitaliste. Je suis plus intéressé par ce que vous pensez que cela signifie. Mais j’ai l’impression que ma fin est assez claire. » Nous ne nous aventurerons pas sur le terrain de la résolution ou de l’étude de sens. Bien que le fond soit ici intéressant, le cheminement musical l’est encore plus. Sa forme efface toute soif de signification, en vous laissant tout de même le soin de décortiquer les paroles de cette magnifique errance.
« J’avais ce sentiment que je ne savais pas exprimer, qui me semblait plus grand que la musique que j’étais en train de faire. C’était un sentiment sombre, mais il y avait aussi de la lumière et de l’espoir. Il fallait l’exprimer simplement. Je me suis inspiré de ce sentiment – qui se mélange à la perte, au chagrin, à la peur, à la violence, à l’ignorance, à la frustration, à l’amour, au courage et au mouvement. C’est aussi beaucoup plus fort que tous ces sentiments. C’est ce qui me permet de faire des disques, et j’espère que c’est aussi ce qui permet aux gens d’écouter. » Une écoute pleine, évidemment. Une écoute ardente, intime et proche de la perfection. Une écoute qui se love dans nos amours comme dans nos peines, qui trépigne en rythme sur « Replica », qui se veut céleste sur « Ordinary People », romantique sur « Unborn Capatalist From Limbo » et champêtre sur « Arrival ».
Cory Hanson joue aussi avec la lune, grippée et violente avec « Flu Moon » et « Violent Moon » ; notre lune malade qui éclaire un monde mal en point, un monde qui se terni comme sa robe d’ivoire. Cet album pastoral est une plaidoirie, un cri d’alarme ou une déclaration d’amour. Cet album est un peu tout à la fois. Il prend soin de notre libre arbitre et conjure les interférences moralisantes. C’est comme s’il nous chuchotait à l’oreille de belles et éternelles ivresses.