Elvis Perkins, la fleur au fusil
Sans chercher midi à quatorze heures, le nom « I Aubade » ne veut rien dire. Et tout en évitant de penser au généreux bonnet C d’une marque parisienne, on cherche encore la signification de ce titre alambiqué. Elvis Perkins ne pouvait pas faire dans la simplicité. Il n’a jamais fait dans la simplicité.
Dans son communiqué presse, où son pourquoi du comment prend la forme d’un journal intime, Perkins explique que « le mot en lui-même effectue une petite révolution devant l’œil. A première vue et avec un atrophie française, il est lu comme ‘obeyed’ (obéir). Et je fus amené à considérer ce que l’homme fait : obéir précisément à la loi naturelle et surnaturelle. Je me suis donc tourné vers ‘Io bayed’ (comme la lune de Jupiter qui fut nommé en hommage à Io, amante de Zeus transformé en génisse blanche) ou vers ‘I/O bade’ (comme l’analogue de l’interface numérique d’enregistrement utilisé pour faire l’album). » Il se replia alors sur un mélange des deux, qui envenime encore le sens de ce titre. Même si ses explications génèrent une certaine masturbation intellectuelle tout à fait honorable, elles n’en sont pas moins poétiques et imagées, comme le montre sa pochette, faite de prismes et de couleurs pastel, qui se paluche fièrement avec sa touche abstraite.
Nous voilà donc au milieu d’un marasme où il fait bon de se relâcher, de se balancer de droite à gauche comme un pendule en fin de course, de tanguer au rythme de ses incantations vaudou et de sa voix à bout de souffle, mourante. Ce troisième album est un concentré de lui, délicieusement soporifique et authentique. Enregistré à Los Angeles, New York, Dallas, dans des motels comme dans la nature, « I Aubade » ne peut se décrire que par son auteur : « En fin de compte, c’est un album plein de vagues et de changements. Des vagues roses et blanches de Mini Moog. Ce sont des vagues qui partent en courant avec des femmes qui deviennent fluorescentes. La vie meurt et se ravive ensuite. Des vagues aboient, des vagues intérieures, des vagues statiques. » Cela se passe de commentaires, les élucubrations de Perkins sont sans doute sans limite.
On brave la terre rouge, l’ouest américain. On séjourne parmi les fleurs des années 70. On libère des vapeurs quelque peu illicites et on apprécie alors la musique dans ses plus pures racines. Parce que oui, le blues et le folk copulent et notre plaisir se décuple. Perkins nous touche avec ses titres emprunt de naïveté (« & Eveline), nous dirige dans un bric-à-brac à la Gondry (« Hogus Pogus) et devient même légèrement inquiétant avec (« Wheel In The Morning »). Des cordes de ukulélé et de guitares désaccordées, ses synthés en fin de vie, une voix nonchalante et nasillarde dans un corps de dandy alternatif, tout est immédiatement déstructurée mais horriblement attirant. On sera d’autant plus intrigué, insatiable, curieux de savoir ce qui se passe derrière les verres fumées de ce brillant névrosé.
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Son troisième album, « I Aubade », est disponible depuis le 20 avril 2015. Vous pouvez retrouver toute son actualité sur sa page Facebook et son site officiel.
Texte par © Julien Catala