RENCONTRE
Entraînements dakarois par Guillaume Landry
Derrière l'objectif de notre studio planqué aux confins de Montreuil, il y a notre ami Guillaume Landry : crâne rasé, tatouages et imposante carrure de boxeur anglais. Un bon nombre de collections sont mises en lumière sur le e-shop ces dix dernières années grâce à son oeil avisé et son goût du détail. Mais ça n'est pas le sujet aujourd'hui, puisqu'on l'a rencontré pour parler de son travail personnel, qui se tourne davantage sur la pratique du sport, dont il est lui-même féru.
Il y a quelques temps, il avait inauguré à la Montgolfière une exposition, "Les Nouveaux Olympiens", donnant la part belle à ces sportifs de tous horizons. Il revient tout juste de Dakar, la sacoche pleine de clichés pris sur le vif, qui nourrissent encore un peu plus ce projet musclé.
Le sport occupe une place prépondérante dans ton travail. Quel rapport entretiens-tu avec lui?
De souvenir, depuis gamin j'ai toujours été sportif. J'ai fait tout un tas de sports, que ce soit du collectif ou individuel. Dans mon travail en tant que photographe, je n'avais pourtant jamais utilisé ce biais là. J'étais plus centralisé sur la mode ou les portraits...etc.
Mais depuis quatre ans, j'ai réalisé la place que ça prenait dans ma vie, et c'est naturellement que j'ai commencé à faire des portraits de sportifs. Au final, le sport c'est un truc très fédérateur, et un bon moyen de rencontrer du monde.
Souvent il s'agit de sports de combat, comme la boxe ou la lutte. Pour quelles raisons cette attirance pour ces pratiques plutôt que d'autres disciplines ?
Ce sont des sports qui me parlent, tout simplement parce que je les pratique régulièrement, en ce qui concerne la boxe en tout cas.
Malgré l’intensité de ces sports, il ne ressort jamais des sportifs que tu immortalise la moindre once d’agressivité, au contraire, plutôt une forme de droiture, de bienveilance, de fierté, les emmenant presque à une stature divine. Comment l’expliques-tu ?
Je pense que ce sont de base des populations assez fières, mais dans le bon sens du terme. Quand un sportif se fait prendre en photo par des étrangers, il se met naturellement dans une certaine posture. Après, oui, il y a de la violence, ce sont des sports de combat, mais pas plus que n'importe quel sport finalement.
D’ailleurs, comment sont réalisées ces photos, et comment travailles tu-leur rendu ?
Au niveau technique, la plupart sont shootées en argentique moyen format 6/7. J'utilise principalement de la couleur. Sur l'ensemble de mon séjour à Dakar, j'ai dû faire une pellicule en noir et blanc, parce qu'il m'en restait une et que je voulais tester, mais je préfère la couleur. Il y a des lumières là-bas qui sont tellement belles, qu'il n'y a rien besoin de faire, même pas besoin de traitement.
Il y a quelques temps, tu avais monté à la Montgolfière une exposition qui s'appelait "Les Nouveaux Olympiens". Ce projet monté à Dakar en est-il dans la continuité ?
Les "Nouveaux Olympiens", c'est justement l'idée de montrer des aspects du sport relativement absents des médias. Des sportifs, loins des projecteurs, et des salles d'entrainements clinquantes. Une idée d'universalité aussi, avec des passionnés officiants aussi bien dans les dunes du Sahel que dans les salles de boxe d'Essaouira. J'aime montrer ça, il y a vraiment des ambiances et des couleurs qu'on ne trouve nulle-part ailleurs. Sur cette exposition là à l'époque, il y avait des archives, avec des photos prises en Martinique, à New York, à Los Angeles, au Tchad, au Kenya, au Maroc, et là je vais y ajouter le Sénégal.
"Des sportifs, loins des projecteurs, et des salles d'entrainements clinquantes"
C'est un projet que je voulais continuer, et c'est bien tombé puisque j'avais des potes qui allaient à Dakar pour la Biennale de l'art africain contemporaine. Ils avaient de la place avec eux et m'ont proposé de les accompagner. Ils m'en ont parlé un samedi, le dimanche j'avais booké mes billets et deux semaines plus tard, on y était.
Comment as-tu été accepté à Dakar ? Comment es-tu rentré en contact avec les sportifs sur place
J'ai contacté un ancien champion du monde de boxe sur Instagram, Souleyman M'Baye, qui est à la retraite maintenant et qui a monté son propre club en revenant à Dakar (Keur of Champions). Donc le premier contact que j'ai eu sur place, c'étaient des boxeurs. J'ai fait ma petite session de photos avec eux, de fil en aiguille, j'ai connecté avec le fils d'un lutteur sénégalais, qui lui m'a introduit à son écurie (on appelle comme ça les clubs là-bas), et m'a laissé faire toutes les photos que je voulais. Après, ça s'est fait naturellement. Je ne suis pas du genre à arriver, prendre mes photos et partir. Je parle avec eux, je leur pose plein de questions que j'enregistre, dans l'idée, à terme, de faire un bouquin.
Comment envisagent-ils la notion de faire du sport ?
Ça dépend d'où tu vas. Il y a des pays que j'ai fait, comme le Tchad, où tu peux avoir l'impression qu'ils font ça comme une sorte de porte de sortie vers une vie meilleure. Sauf que clairement, il n'y a ni les structures, ni les infrastructures ou encore les coaches et le matériel suffisant. Et il y a d'autres endroits comme Dakar, où tout est plus facilité.
Quel rapport entretiennent-ils au corps ?
Ils veulent être en bonne santé, rapides, efficaces. Ils s'affûtent, comme tous les sportifs dans le monde finalement. Tout ce que je peux dire, c'est que là-bas, ce sont des machines, ils s'entrainent 2h par jours sous 45 degrés. En plus d'avoir le corps, ils ont le mental.
Quelles ont-été tes impressions sur ce qu’il se dégage de la ville, humainement et au niveau de la dynamique sportive ?
J'ai été vachement surpris, parce que c'est une ville hyper sportive justement. Il y a des installations partout ! Sur la corniche de Dakar par exemple, il y a 200 mètres avec des installations pour faire du work out. Ils se retrouvent en fin de journée pour s'entrainer. En parallèle, ils sont très branchés football. Il y a des matchs partout. J'avais rarement vu ça. C'est vraiment une ville jeune, moderne, dynamique.
"C'est vraiment une ville jeune, moderne, dynamique"
Tu as déjà été plusieurs fois en Afrique pour faire des photo-reportages sur ce même sujet. Quelles différences vois-tu entre le Sénégal et les autres pays africains que tu as visités ?
Pour moi, le Sénégal, ça rejoint un peu mon expérience au Kenya. Ce sont des pays qui ont gardé certains codes en matière d'infrastructures et d'administration. Pour ce qui est du sport, à Dakar, c'est vraiment hyper important, ils en font tous. Pas forcément dans le but de devenir pro, mais juste parce qu'ils aiment ça. En dehors du foot qui est très populaire, il y a aussi la lutte sénégalaise qui est vraiment suivie. Dès qu'il y a un match, tout le monde regarde.
Quelle a été ta rencontre la plus marquante ?
Celle avec les lutteurs. Faut s'imaginer face à des bonshommes d'1m90 et 100kg devant toi, déjà. C'est un monde que je ne connaissais vraiment pas du tout. Il y a un côté ancestral. Ils m'ont amenés à l'arène où ils font leurs combats officiels, et c'est vraiment énorme ! Il y a des percussions partout, les femmes chantent, il y a une sorte de transe, qui donne vraiment un côté mystique à ce sport. J'ai vraiment envie d'en connaître plus. Après, toutes les personnes sur lesquelles je suis tombées sont vraiment des crèmes. Il y en a certaines avec qui je suis toujours en contact via les réseaux sociaux d'ailleurs. Par exemple un boxeur tchadien qui m'envoie des vidéos à chaque fois qu'il fait un combat. J'ai été véritablement accueillis par toutes ces personnes. Et ce, malgré la barrière de la langue, puisque beaucoup parlent Wolof.
Des projets à venir dont tu voudrais / pourrais nous parler ?
En lien direct avec ce projet des "Nouveaux Olympiens", je participe à une exposition collective, de nouveau à la Montgolfière, à la rentrée, où je vais exposer certaines photos de ce séjour à Dakar.
Sinon, j'aimerais continuer d'approfondir le sujet. J'ai un peu l'impression de l'avoir juste effleuré. J'aimerais retourner à Dakar pour creuser d'avantage, faire des photos un peu off aussi, en dehors des entraînements. Qu'ils me ramènent chez eux, partager des moments, voir comment ils vivent et capter encore plus l'ambiance de la lutte sénégalaise. Parce que les lutteurs, c'est vraiment leur métier. C'est une pratique qui permet à des jeunes de sortir de la rue, de gagner de l'argent. Il n'y a pas vraiment de limite d'âge d'ailleurs, tant que tu as la santé et que tu es solide, tu peux continuer. Sur ce sujet là je pense y retourner d'ici la fin de l'année.
Mais pour aller plus loin, mon but ultime, ce serait de faire un parcours entre le Bénin, le Togo, la Côte d'Ivoire et remonter sur Dakar, le tout en un seul trip. Mais pour ça il me faut un peu de temps et de l'argent, donc ce serait plus dans les deux ans, le temp de trouver des financements.
