Fortune tellers & Hong Kong dreamers (by Elisa Routa)
Alors bien sûr, ça ne ressemble en rien aux paysages figés de la Californie et à tout ce que les guides touristiques nous foutent en pleine gueule depuis des décennies comme par volonté de nous envoyer nous dorer l’épiderme de l’autre côté de l’Atlantique. Le blanc n’est plus à la mode et ne va plus qu’aux tops modèles anorexiques des défilés de Lagerfeld.
Hong Kong ne sonne pas non plus comme le doux appel d’un trip en Australie, là où l’économie offre à ses citoyens un luxe permanent: celui de pouvoir choisir de travailler, ou non.
Quand j’ai annoncé à mes proches que je partais quelques temps à Hong Kong, l’unique réponse qui m’a été donnée fut un incontrôlable mais unanime « fais attention ». A croire qu’un asiatique est, selon les croyances, plus fourbe qu’un détraqué extrémiste Norvégien ou plus violent qu’un adolescent fanatique de jeux vidéos qui estime que tirer sur des élèves dans un lycée va sans doute lui faire gagner des points. Checkpoint. Il avait tord. Bref. Pour ma part, la seule frayeur que je ne pouvais dissimuler était le nom assez douteux, de la compagnie aérienne, à mon goût mal choisie. « Aeroflot » a sans doute ce pouvoir incroyable de convaincre la majorité des passagers d’opter pour un voyage en bateau. J’ai pris mon courage à deux mains, quoi que déjà pleines de mes appareils photos argentiques.
Atterrissage pas forcé du tout. J’aurais payé encore plus cher pour revivre cette arrivée en territoire inconnu, pourtant à déconseiller à toute personne ayant peur de l’avion. La piste doit faire environ 70 mètres de large, en sachant que l’avion en fait déjà 60, la marge d’erreur est assez mince. Par chance, le paysage qui se déroule sous nos roues rend éphémère l’angoisse qui nous habite. Des palmiers plus grands et plus beaux que ceux d’Andalousie, des forêts plus denses, presque aussi tropicales que celles de la Réunion, des montagnes aussi verdoyantes qu’un produit vaisselle au citron vert, sans les additifs chimiques. Je venais d’entrer dans un espace-temps parallèle, encore plus fou puisque’ inattendu. Rien alors ne me rappelait d’où je venais, peut-être seulement cette différence physique qui faisait de moi, pour la première fois, une étrangère.
Direction le quartier de Tsim Sha Tsui, au coeur de Kowloon, là où les bambous ont remplacé les échafaudages et où les odeurs me transportent dans un France Asia grandeur nature. Certes, ce que je déteste par dessus-tout, quand on me fait le récit de son voyage, ce sont les comparaisons. Du style, « Tu vois, là-bas, ils ont même pas de toilettes normales et ils mangent même pas avec des couverts. C’est pas comme en France. » Mais je dois me rendre à l’évidence, tout est différent de ce que je connais déjà et je m’étonne du moindre écriteau indéchiffrable, de l’abondance de panneaux publicitaires, des devantures de magasins où le « facing » n’est apparemment pas à l’ordre du jour, des minibus bicolores capables de transporter trois équipes de foot, un chameau et son touareg. Les lettres chinoises ressemblent à des graffitis délicats, qui ont du sens. Mais ce dernier m’échappe.
J’ai réservé une piaule dans un grand building sur Nathan Road, où le hall héberge des épiciers ouverts 24/24h. Ils y côtoient des vendeurs de téléphones portables, des cabines pour parier sur les courses de chevaux, des vendeurs pakistanais un peu spéciaux qui veulent à tout prix nous faire acheter « des montres de bonne qualité« , disent-ils. Heureusement que ma flic flak n’a pas lâché mon poignet depuis l’âge de 10 ans, elle me sert d’alibi à mon refus d’optempérer. Certains d’entre eux se la jouent un poils mafieux, tels des acteurs tout droit sortis d’un film de Tarantino, coke dans la valise, marijuana dans la poche. Avec cet accent oriental en plus qui rend Jackie Brown beaucoup moins glauque.
Mes pellicules commencent à chauffer et mon ventre se creuse. A croire que les odeurs de friture qui ne cessent de titiller mes naseaux ont un effet immédiat sur mon appétit et ma curiosité. Pause lunch au Macau restaurant où la tradition chinoise va venir surprendre mes habitudes de jeune Européenne. Ce verre d’eau chaude déposé sur la table avant même de commander est-il destiné à être bu ou à laver mes baguettes? J’ai beau épié les moindres faits et gestes de mes voisins de table, aucune aide de leur part. J’opte pour l’ignorance du verre d’eau chaude. De toute façon, les baguettes ont l’air propres et je n’ai pas soif. Me voyant un poil perdue face à la carte, ma voisine de gauche me signifie sans un mot mais avec des gestes pertinents que son assiette est bonne. Je me rallie à son choix. Comment les chinois gardent-ils la ligne alors qu’on me sert les nouilles les plus grasses de l’histoire des nouilles grasses? Peu importe, mon amour pour le gras ne date pas d’hier, ma culotte de cheval pourrait vous en convaincre.
Il y a un ferry dans 15 minutes pour l’île de Hong Kong. Je pars passer l’après-midi dans le quartier des antiquaires, là où la vieillesse n’a pas d’âge, autant chez les meubles que les êtres humains qui tiennent les stands. Tout, chez eux, est d’époque, tant leur bouche édentée que leurs rides aussi creusées que des fossés en temps de guerre. Je me dis alors qu’en France, on se bat encore pour la retraite à 60 ans. (…) Ici, c’est la caverne d’Ali baba, sans le turban mais avec les yeux aussi plissés qu’une jupe d’aristocrate. Je trouve mon bonheur, moi la passionnée de vieux bouquins auxquels je ne comprends rien.
Il parait que l’île de Lamma est un coin de paradis, ce genre de paradis où on y accède que par bateau et sur laquelle on ne circule qu’à vélo. Le truc un peu irréel, apparemment à portée de mains. J’y cours, j’y vole. C’est encore plus merveilleux qu’une carte postale de Tahiti, la foule en moins et le « café »* en plus.
*NB: Ne jamais demander du café sur l’île de Lamma ou vous risqueriez de vous confronter à l’une des rares choses assez traumatisantes capables de gâcher une journée. Il faudra peut-être un jour leur dire: Cette gelée blanche, épaisse, au goût amer, qui se balance dans le bol telle de la cellulite sur une jambe d’obèse n’est PAS du café.
Bref, je pourrais parler des heures de Hong Kong, de ces gens merveilleux qui ont fait de ce voyage une réussite insoupçonnée, de leur générosité bienveillante qui vous fout mal à l’aise, de leur humilité qui les rend plus riches que n’importe quel trader ayant fait fortune en achetant des pois chiches sur le marché financier. Je pourrais vous parler du marché aux fleurs capable d’éveiller les sens des plus aigris, des diseurs de bonne aventures dans des temples aussi mystiques que mythiques, du photo workshop minuscule, coincé dans un sous-sol miteux, dont les appareils photos argentiques entassés-là auraient fait rêvé Mark Oblow. Je pourrais aussi passer des heures à décrire ces nombreux shops vintage qui ont compris que vendre des pièces uniques hors de prix ne sert qu’à enrichir les plus riches et à creuser le fossé entre les vrais passionnés ruinés et les mecs qui suivent une mode, blindés. Je pourrais vous parler des mille et unes choses qui m’ont bouleversée. Mais surement pas pur égoïsme, je les garderai pour moi. Pour être sûre de vous avoir donné envie d’aller jeter un oeil.
Non, je n’ai pas rencontré de détraqué extremiste sanguinaire à Hong Kong, maman.
Elisa Routa
http://inabunnysuit.blogspot.fr/
Elisa expose le samedi 20 octobre (à partir de 19h30) au shop Kulte de Bordeaux. Au programme, une symbiose parfaite entre surf, écriture et photographies argentiques en noir & blanc. Pour l’occasion, elle s’armera avec son frère de guitares accoustiques pour pousser la chansonnette.