APOLOGIE DE L’ENNUI / par Elisa Routa
Je suis partie en pleine forêt pour savourer mon ennui, sans jugement ni regard inquisiteur. J’ai dégusté la grandeur silencieuse des mes seuls voisins, qui, depuis leurs cimes, me voyaient toute petite. Je me suis sentie seule, infime et ridicule. Je n’ai rien fait durant des heures et j’ai adoré ça.
De nos jours, l’ennui est un gros mot, la lassitude un imprononçable défaut. Pourtant, je voue au spleen une admiration immodérée. Je l’idolâtre comme un gourou inspirateur. C’est celui-là même qui donne des ailes à mes vers, qui donne vie à mes angoisses et pousse mes questions à ne jamais trouver de réponse.
Je n’ai jamais porté de montre. Elles sont aussi délicieuses que le dernier repas avant le couloir de la mort. Elles signifient l’échéance, la fin, l’abomination à portée de main. Je hais le bruit permanent des aiguilles qui se font passer pour un refrain à la mode. Je déteste ce rappel incessant qui t’oblige à être active et productive. Je n’ai jamais porté de montre puisqu’elles sont une course contre elles-mêmes et font du temps notre meilleur ennemi.
Ce jour-là, quoique infime et ridicule, je me savais unique de pouvoir enfin dire que j’avais pris le temps de n’écouter que moi, de m’ennuyer vraiment et pourtant d’aimer ça. Je crois que j’ai souri en me disant alors que s’emmerder autant n’a jamais été aussi cool.
Elisa Routa