Lambert, pianiste surnaturel
Fantasmagorique et mélancolique chimère, Lambert est une étrange créature qui arrive à jouer ses accords sur du béton. Rencontre.
La première fois que j’ai vu Lambert errer dans ses vidéos, j’étais assis sur une chaise de jardin. Je baignais dans le soleil quand mes yeux ont reçu l’image de ce mystérieux personnage. Bien que mon écran reflète un peu tout et n’importe quoi, je suis rentré à l’abri de l’extrême lumière pour y voir plus clair. Je ne me trompais pas, cet homme porte un masque bien étrange. Entre le lapin imaginaire de Donnie Darko et une tribu en furie de Jumanji, celui-ci ferait l’unanimité. Quand on regarde de loin, on se demande simplement ce qui ne tourne pas rond chez lui. Mais ce que Lambert dégage réellement est plus délicat, moins abrupt et pessimiste que les deux références citées. C’est une ambivalence voulue et exigée par son auteur. Une satire du genre qui influe dans son travail de composition : « Le masque est un outil esthétique. Je voulais créer un monde autour de Lambert qui contre les stéréotypes de la musique pour piano – comme les chandelles romantiques par exemple –, mais qui tout de même se combine bien avec la musique. Cette idée de personnage venant d’un autre monde m’a toujours séduite. »
Sans casser la sonorité de ses arpèges, il réussit à semer un magnifique trouble. Pas de ces troubles où on perd la raison. Non, ceux où la raison est transie par les images et les sons d’une œuvre d’art. On y voit donc cet animal surnaturel, une sorte de buffle aux cornes infinies, jouer de l’air-piano sur des ruines de monument antiques, hanter la nature silencieuse, déambuler dans des rues tamisées par le crépuscule. « Nous avons tourné en Sardaigne, parce que le masque est directement inspiré de leur culture carnavalesque. Tillmann et Niklas, qui ont fait les vidéos, sont des amis proches. Nous avons longtemps développé ensemble le concept visuel de Lambert. Nous tournions généralement très tôt le matin ou au coucher du soleil car la lumière y est si spéciale. Nous avons fait beaucoup de prises malgré le froid. Il y a des choses que nous n’avons pas encore libérées. C’était un très beau voyage. » La désolation d’un film d’anticipation, une exquise fantasmagorie dans les sillages d’un pianiste brillant, au passé un peu aléatoire – comme tout bon artiste : « J’ai grandi dans le nord de l’Allemagne. J’ai commencé à prendre des leçons de piano très tôt, à 4 ou 5 ans, je crois. En grandissant, j’ai été attiré par la batterie et j’ai ensuite joué dans des groupes de punk et de funk, celui qui me permettait d’abuser de mon instrument. Plus tard, je me suis concentré sur le piano et est étudié au conservatoire : un peu de jazz, un peu de classique, mais rien ne m’emballait vraiment. Il m’a fallu encore un certain temps pour redécouvrir le piano, trouver mon propre style et la bonne manière de jouer. »
Dans sa course musicale, il dit aimer Chopin autant que Vampire Weekend, et a un faible pour le compositeur Jan Johansson. Son premier album, qui regroupe une vingtaine de douces compositions, est l’aboutissement d’une réflexion de longue haleine et d’un amour profond pour la musique. Ses ritournelles s’enchaînent sur des hauts et des bas, tristesses et allégresses, qui vaguent parmi des accords bipolaires. Aux commandes, celui qu’on ne présente plus, Nils Frahm : « Nous avons des amis communs. Je l’ai rencontré une fois à une fête. J’avais écouté quelques-uns de ses travaux, que j’aime beaucoup, et à ce moment-là je ne savais pas que c’était une grande star. Pourtant, je savais que c’était la bonne personne à qui demander conseil. Je lui ai donc parlé de mes idées et lui ai demandé s’il voulait m’aider à produire l’album. De fil en aiguille, après avoir fini de produire l’album, je lui ai montré le résultat. Il a été tout de suite emballé et a décidé de s’occuper du mixage et mastering. C’était génial, car je pouvais aussi voir comment il travaillait. »
Ne vous fiez pas à ces humeurs musicales. Lambert me l’a soufflé : « Je suis un homme heureux » !