L’eau du lac
« Club Nautique Ecole Française de voile » est inscrit en capitales rouges sur une remorque en bois usé par le temps, le tout surélevé par deux pneus disproportionnés. Elle est sans doute restée là durant des décennies, à jouer l’élève modèle au second rang, cachée derrière cette grande bâtisse, à attendre qu’on la remarque enfin.
Le champs d’herbe est mouillé et en le regardant de biais, on peut distinguer les milliers de gouttes transparentes dressées au bout de chaque brin. C’est un spectacle unique auquel on assiste gratuitement. Il n’est que 7h30 du matin. Nous sommes prévenus, la journée risque d’être belle.
Au petit matin, le sol pleureur ne chouine plus. Il semble juste fatigué, encore endormi, les bras tombants, son regard vide témoigne d’une folle nuit à gesticuler au rythme des bourrasques de vent.
Les roseaux scintillent comme des lampadaires laissés allumés en plein jour, les canards amoureux se font la cour bruyamment et nous sommes là, à les contempler vivre.
L’eau du lac est tellement calme que la géométrie du reflet est exemplaire. On y distingue deux montagnes assises l’une sur l’autre et deux forêts denses au coude à coude. Leurs centaines de troncs communs paraissent plus alignés que des allumettes dans une boîte. Il est alors impossible de distinguer la vie réelle du fantastique trop éphémère. Il suffit qu’on penche notre tête vers le bas pour perdre toute notion des réalités, toute perception censée. C’est comme avoir les pieds dans les nuages et la tête submergée, le tout sans se noyer. Cette sensation d’apesanteur est douce, aussi miraculeuse que cette fausse idée qu’on se fait des trous d’air. Pourtant, j’ai la tête dans un nuage sans avoir le nez contre un hublot qu’on a oublié de nettoyer, ni même sans voisin en surpoids qui aurait sans doute préféré avoir de l’argent en trop à dépenser dans un billet d’avion en classe affaire.
Mais nous sommes là, asphyxiés dans cet univers un peu mystérieux que l’on ne connaît pas, à tenter d’échapper à une réalité que l’on connait trop bien.
Elisa Routa