Rencontre avec Dob{r}man
Après plusieurs années passées aux commandes de LVL Studio, Fabien Landry alias Dob{r}man s’est tourné vers le tatouage. Depuis deux ans, il apprend les rouages du métier au sein du salon Turbo Zero, et arrive maintenant sur la fin de son apprentissage. Confortablement installés dans notre petit salon, nous avons discuté avec lui pour tenter d’en savoir plus sur ce changement d’orientation, mais également sur son rapport avec un milieu qui se démocratise de plus en plus…
Salut Fabien ! Première question très classique : est-ce que tu peux te présenter, nous parler un peu de ton parcours ?
J’ai fait l’école Pivaut à Nantes à l’âge de quinze ans, j’étais assez jeune. Je suis sorti en 1997 et j’ai choisi mon pseudo « Dob{R}man » juste après. Ensuite j’ai dû faire trois ou quatre ans en agence et au bout d’un moment, j’en ai eu marre d’avoir quelqu’un au-dessus de moi. J’ai donc décidé de me lancer en indépendant.
Tu as intégré l’école Pivaut très tôt ! D’où t’es venue cette passion pour les arts graphiques ?
C’était une envie qui était très présente. Mes parents avaient repéré que j’avais des capacités tout jeune, je ne débordais pas quand je remplissais mes coloriages en maternelle (rires). Du coup, dès l’âge de six ans je prenais des cours du soir après l’école. J’étais vraiment branché dessin. J’ai eu un prof d’ailleurs que j’ai retrouvé à l’école Pivaut et qui était mon mentor, Monsieur Masselin.
Depuis quelques années tu t’es tourné vers le tatouage. De quelle façon tu es tombé là-dedans?
Le graphisme et l’illustration, ça fait déjà plus de quinze ans maintenant que j’en fais. J’avais besoin d’avoir un nouveau médium dans les mains. J’avais envie de changer sans changer, c’est-à-dire que je continue mon cursus de dessin mais je le fais autrement. C’est super enrichissant parce que j’ai l’impression de recommencer à zéro et j’apprends plein de trucs en permanence. Plusieurs choses m’ont mené au tatouage, notamment le fait d’avoir eu l’occasion de rencontrer Rocky et Marie de Turbo Zéro ou encore les gars de Bleu Noir qui m’on fait faire une expo chez eux et m’on encouragé à passer le pas, ça m’a donné envie. Et en plus des rencontres, je côtoie le milieu du tattoo depuis longtemps avec mes groupes de musique et mes connections diverses. Tout ça m’a amené petit à petit vers ce métier passionnant.
Tu es donc tatoueur chez Turbo Zéro. Pourquoi avoir choisi d’intégrer ce salon en particulier ?
Turbo Zéro c’est venu grâce à Rocky. Il m’a pris en tant qu’apprenti, il y a deux ans maintenant, et m’a appris la technique, le geste à avoir, les réglages machines et un peu sa façon de travailler aussi. Il m’a conseillé et le fait encore. Au début tu touches pas aux bécanes pendant quelques mois voir plus, tu regardes comment ça se passe, tu apprends petit à petit. Tu fais des tests sur toi, tu commences à niquer ta cuisse et puis tu y vas. Au bout d’un moment ça commence à venir et puis tu as toujours des potes qui sont preneurs pour des tattoos gratuits.
Il y a deux ans tu a fais une expo qui s’appelait « My heart burns for you » qui a notamment été exposée chez Bleu Noir et Turbo Zéro. Peux-tu nous en parler un poil ? Et quel était ton rapport avec l’univers du tattoo à ce moment là ?
C’était déjà un peu dans la veine tattoo, même si à l’époque j’étais pas encore vraiment dedans. Au niveau des détails et des contrastes sur mes illustrations et toute la réflexion sur ce que peut engendrer la peau, j’avais pas encore tous les codes. Mais j’ai quand même fait cette expo parce que ça me permettait de me faire connaître à Paris, chez les Bleu Noir et de sympathiser avec toute l’équipe. Ça m’a aussi permis de faire un guest chez eux en début d’année.
Comment est-ce que tu décrirais ton style ?
J’ai passé pas mal d’années à faire du plein et délié. Ce sont des tracés qui sont larges, affinés et pointus à la fois. J’étais très agressif sur mon traité et travaillais beaucoup sur Illustrator. Finalement, le tattoo m’a transformé tout ce style que j’avais fait pendant quelques années, parce qu’il a fallu l’adapter à la peau. Un plein délié on peut s’amuser à le faire, mais c’est quand même une action fastidieuse. Donc en fait j’ai retravaillé sur ma ligne pure en m’adaptant aux tailles d’aiguilles que j’utilise pour tatouer. Je dessine d’une autre manière. Pour l’instant je fais du trait, du point et du remplissage de noir. Donc c’est quelque chose d’assez simple mais efficace. Mais je vais me mettre à la couleur aussi. Avec le tatouage l’avantage c’est que je vais pouvoir revenir sur mes années d’études et essayer plein de trucs. Au bout de deux ans on est plus ou moins en fin d’apprentissage, donc maintenant c’est à moi de faire la suite…
En deux ans est-ce que tu as déjà eu des demandes assez insolites pour un tatouage ?
J’ai fait un miroir un peu japonisant avec une vulve au centre sur un derrière de cuisse, c’est pas un flash que je pensais vendre, mais le gars l’a pris volontiers ! J’étais plutôt content sur ce coup là.
Depuis quelques années le tatouage s’est vraiment démocratisé en France. Quel regard portes-tu sur tout ça ?
Tout dépend de quel bord tu te mets. D’un côté tu as Tin-Tin par exemple. Il est très médiatisé, il a créé le syndicat des tatoueurs (SNAT) et a beaucoup contribué à démocratiser l’univers du tatouage notamment en France. Il y a eu une évolution très bénéfique avec tout ça, mais aussi un aspect négatif. On perd malheureusement tout ce côté underground. L’âme du tatouage disparaît petit à petit. Aujourd’hui les gens demandent souvent les mêmes choses. Est-ce qu’une petite typo sur le poignet avec marqué le nom du « chéri » fait sur un coup de tête c’est du tatouage ? Je ne pense pas, après ça ne reste que mon avis. Pour moi, le tatouage ça va beaucoup plus loin que ça. C’est une vraie démarche avec des codes personnels et des périodes de vie à graver.
Et de l’autre côté, il y a Filip Leu. C’est LE maître incontesté du tatouage japonais. Il a appris là-bas, il a fait un cursus impressionnant. Il a aussi contribué à sa manière à l’évolution et au développement du tatouage, de façon plus discrète, plus authentique peut-être, il y a une vraie démarche. Avant, le tatouage les gens allaient le chercher. Maintenant, tout est accessible. Je ne peux pas être contre ça non plus parce que je suis dans cet univers désormais et je commence à en vivre, mais la démarche était différente avant toute cette démocratisation. Le côté un peu « mauvais garçons » c’était cool parce que ça permettait de filtrer. Les tatoueurs se retrouvait avec un peu moins de demandes, mais beaucoup plus intéressantes à faire. En France le tatouage arrive doucement parce qu’on est toujours un peu réfractaire, le regard est sur l’apparence des gens, dès qu’il y a un petit truc qui change on tique un peu. On est toujours un peu « prout-prout ». Là ça commence à changer. L’aspect social ne correspond plus trop au tatouage. Le tatouage va devenir un hobby pour tout le monde et les gens vont être de plus en plus tatoués. La démocratisation est lancée. Je pense que le problème actuel c’est que les gens ont tout, tout cuit dans le bec. Ils ne cherchent pas vraiment, ils suivent une masse, une mode, ils copient sur les stars, les gens de la TV. Mais bon, malgré tout ça, je pense qu’il restera toujours des personnes qui voudront des beaux projets intéressants, et c’est bien ça le principal.
Qu’est-ce que tu penses des émissions de télé-réalité sur le tatouage qu’on voit notamment aux Etats-Unis ? (Ink Master, LA Ink)
C’est du show à la ricaine, c’est un peu comme la NBA, on va pas siffler tous les « marchers » parce qu’il y a un gros dunk au bout de l’action. C’est toujours un peu surjoué, les candidats sont toujours soigneusement choisis, les tatoueurs sont pas toujours fameux, mais tu peux apprendre quelques trucs en passant… Après, aux Etats-Unis, la dimension du tatouage est différente…Tout le monde est tatoué, du camionneur au banquier.
Qu’est ce que tu conseillerais à quelqu’un qui veut se faire tatouer pour la première fois ?
Je conseillerais de se faire tatouer en boutique et de bien choisir son tatoueur, d’aller regarder son book avec les travaux réalisés avant d’expliquer son projet. Il faut se renseigner sur son style, parce que maintenant c’est ça qui importe. Le tatouage avant c’était du flash et beaucoup de repro, le mec arrivait et choisissait une tête d’indien parmi d’autres et hop ! Maintenant, on est rendu à un niveau artistiquement, c’est hallucinant, y’a beaucoup de choix. Le tattoo c’est un peu du coup de cœur. Si tu kiffes sur un style en particulier, tu peux traverser le monde entier pour aller te faire tatouer par l’artiste. C’est une relation privilégiée.
Par qui tu aimerais te faire tatouer ?
Il y en a plein ! (rires). En fait, j’aimerais retourner chez Vincent de Bizzaroid Tattoo qui est au Québec maintenant chez Glamor Tattoo. J’ai déjà l’idée depuis un moment. Comme je suis complètement fan de basket depuis que je suis gamin, le tattoo serait une scène de NBA, pom-pom girls, buildings, avec un mec qui dunk, sur toute la jambe complète. Façon Chicago un peu. Et puis, les envies viendront aussi en fonction des rencontres futures… J’ai encore de la place !
Sur quel tatouage est-ce que tu travailles en ce moment ?
En ce moment je travaille sur un dessin destiné à un cover, je dois « cacher » une petite hirondelle par un poisson sur une omoplate. Un cover en fait c’est un tattoo déjà fait, plus ou moins vieux, que tu dois recouvrir. Ça fait partie du métier. Beaucoup de personne en font, pour des raisons simples : ça coûte encore cher de se faire enlever un tatouage et ça fait très mal. Il y a beaucoup de gens qui préfèrent se faire recouvrir leur ancienne pièce plutôt que d’aller se faire retirer un tattoo au laser.
À côté du tatouage tu fais également de la musique. Tu as joué dans plusieurs groupes et aujourd’hui tu es batteur dans le groupe The Guardogs. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton groupe et de vos actus ?
On est cinq et on a tous des noms de chien : German Sheperd, Pinscher, Caniche Abricot, Bobtail et moi Dob{r}man. C’est du stoner rock, c’est californien. On a sorti un double EP 8 titres tout début 2015 et on a fait une petite tournée en Bretagne récemment. En un an et demi de groupe c’était la première fois qu’on quittait Nantes, mais ça ne fait que commencer, on prépare une date sur Paris bientôt. Mais notre toute nouvelle actu, c’est le Helltruck (organisé par les 2 guitaristes du groupe). C’est une extension du Hellfest. On va poser un truck sur le parking du Leclerc de Clisson, et on a sept groupes qui vont tourner sur la scène de 13h à 19h. Ça s’annonce très bien d’ailleurs !
Il y a quelques temps tu as participé à l’expo Planchettes. Qu’est-ce qui t’a donné envie de bosser avec OLOW ?
Tout d’abord, j’apprécie la marque de vêtement et le support/forme choisi me branchait bien, j’adore travailler sur le bois. J’ai souvent peint sur planches de skate et c’est plutôt agréable. J’ai choisi de faire une tête de samouraï coupée parce que c’était le début de mon délire tattoo et que j’adore la culture japonaise. J’utilise et explore d’ailleurs beaucoup cette partie du globe dans mon travail. Et le côté planchette japonaise tombait sous le sens…
Petite question pour finir qui me turlupine, pourquoi avoir choisi comme nom de scène « Doberman » ?
En faite quand je suis sorti de l’école je suis arrivé dans une agence qui s’appelait Abacab, j’ai fait un an là-bas. Ils faisaient de la pochette de skeud et du culturel en majorité. Premier resto, ils m’invitent pour signer le contrat. J’ai fini le plat deux fois plus vite qu’eux parce que j’avais hyper faim ce jour-là (rires). Et ils m’ont dit « Tu bouffes comme un clébard qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait un doberman ! » Et bim. Le mot était lancé. J’ai fait ma toute première carte de visite dans cette agence.
Merci à Fabien.
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– L.K –
