Phlegm et les maximonstres
« Je n’ai vraiment pas de bio. Je n’aime pas parler de mon travail. » Il n’aime pas les interviews. Il est ce qu’on appelle un esprit libre, sans étiquette. Son parti pris est légitime et mérite d’être compris. Il veut que le spectateur soit acteur de son œuvre, libre de penser, de faire accroître son intelligence. Il veut des pantins aux fils malléables pour faire mouvoir non pas leurs membres, mais leurs dédales. Il ne veut les soumettre à aucune évidence simpliste pour modeler leur réflexion. Les plus aguerris diront que tout ce pataquès dicte un va-et-vient intellectuel faussement modeste, une intégrité qui s’anime dans un mouvement prétentieux et mystérieux. Il n’est pas le seul, ni le dernier. Il est talentueux et il le sait. Son art captive, il s’appelle Phlegm et son nom est imprononçable.
Shoreditch High Street, 18h17. Mon éternuement est à l’image de l’environnement, humide et gluant. Ma main n’émet aucun réflexe pour éviter l’éjection de millions de microbes baveux. Qu’importe, le rideau diluvien est si épais qu’il ramène à 0% le taux de propagation. Mon semblant d’allure déconctratée a assez duré. Je fanfaronne avec l’expression d’être à l’aise et détaché de toute importance météorologique. Les trombes de flottes gagnent en intensité. La lourdeur de mon manteau se confond à celle d’un pluviomètre et mon bonnet pense au froid sec qu’il ne connaitra jamais. J’active le pas pour la Howard-Griffin Gallery.
Mon entrée est guettée par le regard lifté d’un pitbull. Rien d’humain n’est à ma portée. Je m’approche un peu plus vers lui pour essayer d’attirer son attention. Il ne bouge toujours pas, digne et paisible dans sa posture, tel un sphinx des temps modernes. Je pense alors qu’il pourrait me surprendre avec ses 500kg de pression. Je bats donc en retraite, lui donne un sourire en coin pour le remercier de son impassible accueil et m’engage dans le couloir de l’exposition, en laissant derrière moi les fluides du combat extérieur.
Les méandres des lieux viennent peu à peu faire du pied à mon imagination. Des collections de squelettes surnaturels et de bocaux chimériques habillent les façades de bois comprimé. C’est ludique et dérangeant. Le couloir en colimaçon déclenche une tension préliminaire à la peur, incomplète et divertissante, comme celle qui accompagne la musique d’un film fantastique. Quelques piétinements plus loin, le délire post-horrifique s’inhibe à une gigantesque foire aux monstres. Des créatures aux membres disproportionnés se livrent à une série de situations loufoques où la fantasmagorie de Burton et Sendak enjambe des métaphores bien plus complexes. « C’est le mystère du monde que j’ai peint. Son histoire inavouée. » OK, trêve de philosophie ! Ma lucidité veut reprendre son cours, si bien que le lumière du soleil m’aide à y voir plus clair, ou presque. « Quel temps d’extrémiste ! » me dis-je quand mes chaussures raclent le seuil de le porte. L’animal est toujours figé sur son drap sale et rose, fier d’être au final le gardien du bestiaire.
Texte et photos par © Julien Catala