« Les femmes et les enfants d’abord ! » : récit d’un road trip à travers le Connemara
« Non mais c’est pas une légende ! ». Personne n’avait menti. En tout cas pas les mises en garde de nos amis avant le départ, ni même Michel, chantant le bulletin météorologique du Connemara avec une justesse remarquable. L’Irlande est un pays qui ne fait pas mentir ses légendes, depuis 2 jours que nous pédalons à travers le Connemara, il pleut, et il fait froid.
L’étape du jour nous emmène à Clifden, nous emmenons Tristan. Tristan n’est pas cycliste. Après avoir bricolé un vélo tant bien que mal, son âme vagabonde a décidé de nous faire confiance pour dérouler pas loin de 1000 kilomètres sur la côte Ouest irlandaise. Alors quand on lui a dit : « pour pédaler, il faut voyager léger » lui, il a pris un hamac… Après une journée de 80km à travers un décor à couper le souffle, après avoir compris que l’Irlande n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler un « plat pays » et après quelques pintes dans le premier Pub débusqué en arrivant à Clifden, nous mettons notre plan à exécution. Nous irons nous offrir une nuit de camping sauvage à Twelve Pins, spot montagneux et isolé au beau milieu de pas grand-chose… Nous finissons donc la journée par une longue approche de ce lieu rêvé et poussons le compteur à 100 bornes.
Vu d’en haut, le décor est planté. Une fois là-bas nous serons seuls, entourés de 12 montagnes, peinards, abrités dans un sous-bois, nous ferons un chaleureux feu de bois pour engloutir nos pates chinoises et nous réparerons nos muscles durcis à grands coups de canettes de bières par une veillée dont on se souviendrait longtemps. Haaaaaaa l’Irlande…. Une fois sur place, le rideau s’ouvre. Nous sommes seuls, entourés de 12 montagnes et… d’une mine désaffectée. Sorti de nulle part, le chantier laissé à l’abandon baigne dans son jus trouble et grisâtre, il est en train de rouiller. Une fois n’est pas coutume, le vent, qui ne nous a pas lâché depuis le début du voyage, s’engouffre dans les montagnes et invite l’orage à notre petite sauterie. De lugubre, le lieu devient un peu sordide, limite flippant, comme sorti tout droit de l’imagination de Hitchcock.
Passée l’idée de planter la tente au fond de la mine de 40 mètres pour éviter le vent, nous nous mettons en quête d’un endroit sec et abrité pour planter la tente. Les sous-bois fantasmés un peu plus haut offrent trop peu d’espace entre chaque tronc et la moindre surface exploitable est enréalité un mélange de flotte et de boue dans lequel nous nous enfonçons jusqu’aux chevilles. Faute de mieux et pressés par l’arrivée de la nuit, nous finissons par trouver un spot en franchissant un petit filet d’eau. Un engrenage rouillé et un poteau emprunté au chantier nous servirons à tendre le hamac, quelques zones à peu près plates accueilleront nos tentes. Alex se réserve le meilleur emplacement, il bénéficiera d’une chambre avec « vue sur les montagnes pour un réveil en douceur ».
Exit le feu de bois, la flambée chaleureuse se fera dans un bidon ! Nos canettes de bières vides découpées aux 2/3 accueillent une soupe de pâtes lyophilisées qui a le mérite d’être chaude. L’orage qui s’était invité un peu plus tôt a ramené ses potes, la petite pluie se transforme en petite tempête et vient gâcher notre fiesta de fortune. Nous ficelons Tristan dans son hamac et filons dans nos tentes.
Jamais nous n’avions dormi dans une tempête d’une telle violence. De limite flippant nous sommes passés à carrément effrayant. Nous n’avions compris sa réelle intensité que lorsque sur les coups de 4h00 du matin, l’ouverture de la tente de Nico le tira d’une demi-insomnie et qu’un duvet trempé reçu en pleine face fini par le réveiller. Alex plonge dans sa tente : « Les femmes et les enfants d’abords ! ». Confondant une éventuelle transpiration avec la crue du « petit filet d’eau », il ne s’est inquiété que lorsque la lumière de sa frontale l’a éclairé sur la situation. Le torrent a englouti la moitié de la tente, et Alex dedans survivant sur son île matérialisée par un matelas pneumatique.
Nous passons tous deux la tête par l’entrée de la tente et analysons la situation : vu que le hamac flotte comme un drapeau dans un ouragan, Tristan n’y est plus. Il a du rejoindre Dodo dans sa tente. Le torrent, gouttière des montagnes nous refroidi à l’idée de le traverser. Nos nerfs lâchent et après un fou rire d’un bon quart d’heure, la raison… Nos vélos sont sur l’autre rive, notre salut aussi ! L’orage ne faiblit pas, le terrain dégueule la flotte qu’il ne peut déjà plus absorber, il faut foutre le camp tant que c’est encore possible.
Après des négociations avec l’autre équipe, nous levons le camp un peu avant 5h00, traversons l’eau glacée et détalons comme des lapins vers Galway. Nous y arriverons vers 12h00 (heure initiale prévue : 17h00) et nous retracerons le film de cette aventure jusqu’à tard dans la nuit autour de nombreuses bières dans la chaleur des pubs de Galway, riant de nos maladresses de baroudeurs débutants et les racontant à qui voulait bien les entendre.
Notre escapade irlandaise commençait mais nous étions certains d’avoir déjà des choses à raconter.
Récit par Alexandre Tessier et Nicolas Laurent.
Photographies : Alexandre Tessier