Savages, de la rage et des filles.
Parmi les racks de la Rough Trade, temple immaculé de la meilleure musique au monde, je fus violemment coupé dans ma recherche alphabétique. Une bande de filles, accoutré dans l’esprit du quartier, perfecto noir, leggings fumé et Doc Martens dépareillé, parlaient en criant une bière à la main. Non, elles rigolaient en criant. Nuance faite, elles jacassaient fortement. Je me suis éloigné pour m’éviter de râler et sortit du magasin finalement de bonne humeur. Une heure plus tard, je revins au temple pour assister à un concert de rock. Je me faufile entre les gens, je ne vois pas encore la scène. Les premiers riffs de guitares se font entendre, intenses et lourds, qui crépitent salement dans la sono. Je ne vois toujours pas la scène. J’entends un chant féminin, menaçant et suave. Me voilà maintenant dans un recoin clairsemé de gens. J’aperçois sur le devant de la scène les mêmes filles qui jacassaient il y a une heure. J’ai ouvert grand les yeux, surpris et secoué par le son, en ravalant difficilement ma salive.
Qu’on soit de Pierre, de Paul ou de Jacques, rien ne nous destine à être comme Pierre, Paul et ainsi de suite. Nous sommes donc libre de changer de chemise comme bon nous semble, surtout quand ne nous convient plus. Jehnny Beth, sous son vrai nom Camille Berthomier, débute dans le cinéma en 2005. Elle sera pré-nommée la même année au César du meilleur espoir féminin. Elle trace vite son chemin comme chanteuse et musicienne dans la pop suave de John & Jehn, puis rencontre plus tard Gemma Thompson, la guitariste, qui se formait pour être pilote de ligne, Ayse Hassan, une bassiste fan d’Halloween, et la batteuse Fay Milton qui avait travaillé six mois dans une institut psychiatrique. C’est de ces divers horizons que Savages s’est tracé le sien, dans la tourmente des salles underground de Londres et en première partie d’artistes reconnues, comme Queens of the Stone Age.
Les femmes sont finalement assez peu reconnues dans l’univers du rock. Il est peut être simple de citer telle ou telle chanteuse, Angel Olsen ou Courtney Barnett par exemple, mais il est tout de suite plus difficile de citer un groupe de rock entièrement féminin. C’est ce qui rend Savages diablement séduisant. Mais outre sa dimension féministe et émancipatoire, la bande de filles cogne sévèrement, comme un double combo, avec des musiques noires, sales et rudes, comme promues et élevées par des durs à cuire. Qu’on se le dise, les titres comme « Shut Up », « Fuckers » ou « The Answers » suintent carrément la testostérone. Une force garantie, une rage retenue. Tous ces qualificatifs sont en deçà du sentiment ressenti. Les Runaways peuvent aujourd’hui, promptement et décemment, couronner leur descendance.