L'étude des symboles
Échange avec Jim Kylam
Plasticien autodidacte, il compose un univers graphique constitué de symboles et d'idéogrammes. Sur le papier comme sur la peau, sur la toile comme sur le bois, l'artiste se laisse inspirer spirituellement et graphiquement par l'occultisme, le mysticisme.
Dans un monde parfois trop terre à terre, nous avons bien accroché à l'évasion visuelle et spirituelle que propose Jim Kylam dans ses créations. Au-delà de l'esthétique, la combinaison de ces éléments et le message qui s'en dégage, nous ont particulièrement touchés.
Dans le cadre de notre collection " Erreur 404 ", il a créé la broderie de notre chemise Harmony. Pour creuser l'étude symbolique de son univers, nous sommes allés le retrouver dans l'atelier qu'il partage avec plusieurs artistes à Pantin.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Mon nom d’artiste plasticien est Jim Kylam. Je n’ai pas fait d’école d’art, j’ai fait du graphisme un petit moment et du graffitis pendant de nombreuses années, vers l’adolescence. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai voulu développer un style un peu plus personnel, donc j’ai commencé à dessiner.
La manière la plus simple pour moi était de travailler avec le papier et le crayon. Par la suite, j’ai pu me mettre au tatouage, à la peinture, à la céramique et aux objets. Au final, j’ai développé un univers que je retranscris sur divers médiums.
Quelle est ta méthode de travail ? Est-ce que tu sais à l’avance sur quel médium tu vas travailler ?
Comme j’ai une mémoire visuelle, généralement j’essaye de réfléchir en amont, j’imagine pour réussir à trouver ce que je vais faire. Je vois ça comme un musicien qui essaye de trouver la mélodie qui fonctionne. Je réfléchis beaucoup à cette sorte de mélodie graphique, avant de me lancer. Puis quand j’essaye de la transposer, parfois je suis content et parfois je suis déçu.
"J’ai toujours été un peu inspiré par l’occultisme, le mystique,
mais plus d’une manière graphique et spirituelle que vraiment dogmatique."
On a remarqué que tu avais une palette très reconnaissable, avec notamment le bleu, le marron et et le noir qui reviennent. Comment en es-tu arrivé à utiliser ces couleurs ?
Durant ma période graffitis, j’utilisais une palette complètement différente. Et même quand j’ai continué à peindre, j’utilisais des couleurs plus “classiques”, mais je ne les aimais pas forcément, je les utilisais parce que c’était efficace. Par la suite pendant 1 an ou 2, je me suis recentré sur le noir et blanc, quelque chose de très simple. C’est seulement en 2020 que j’ai commencé à remettre un peu de couleur dans mon travail. J’essayais de le voir d’une manière un peu différente, j'ai donc essayé de trouver des couleurs autres que du fuchsia ou du turquoise. Sortir de ça, pour me diriger vers des couleurs qui sont indépendamment, pas forcément jolies, mais qui s'harmonisent une fois associées. J’ai encore un énorme travail à faire par rapport à cette question, je pense que c’est le travail de nombreux artistes de réussir à réduire et trouver leur palette.
Ton univers semble très imprégné par l’iconographie mystique et spirituelle. Est-ce que tu as des inspirations cinématographiques et culturelles particulières dans tes créations ?
J’aime beaucoup le cinéma de Kenneth Anger et de Alejandro Jodorowsky. Et j’ai toujours été un peu inspiré par l’occultisme, le mystique, mais plus d’une manière graphique et spirituelle que vraiment dogmatique. J’ai également toujours été intéressé par l'iconographie franc-maçonnique et d’autres sociétés secrètes. En réalité, je vois mon travail comme une sorte de catalyseur. Généralement dans mes images, il y a plusieurs sens de lecture, chaque personne peut voir ce qu’elle a envie de voir pour se l’approprier.
Tu as créé ton propre jeu de tarot. Est-ce que tu as déjà pratiqué la cartomancie, ou c’est un univers qui t’a juste marqué esthétiquement ?
Ce n’est pas du tout quelque chose que j’ai pratiqué. En réalité ce n’est pas vraiment un jeu de tarot, mais plus ce qu’on appelle un "oracle". Un jeu de cartes constitué de mots et de symboles. C’est un projet que j’avais en tête depuis longtemps et c’est arrivé à un moment comme une évidence, suite à mon travail d’introspection. Je voulais que ce projet soit à la fois, assez personnel et universel. Comme je l’ai écrit sur le texte qui accompagne le jeu, la seule règle est qu’il n’y en a pas. C’est-à-dire que chacun l’utilise comme il le souhaite. Dans les retours que j’ai reçus, il y a des personnes qui en font des tirages. Récemment j’ai appris que quelqu’un posait chaque jour une carte dans sa pièce, c’était sa manière à lui de placer le mood de sa journée. C’est ça que j’apprécie, ce jeu est devenu un domaine public. Les gens se le sont accaparé et en ont fait ce qu’ils voulaient.
Tu as lancé un projet qui s’appelle « Symbolisme » sur ton compte Instagram dédié au tatouage. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? D’où te vient cette passion des symboles et des idéogrammes ?
Quand j’ai débuté le tatouage, je faisais uniquement des flashs, c'est-à-dire un dessin qui est déjà réalisé et que la personne va se faire tatouer tel quel. Puis je me suis dit que ça serait bien de faire un projet, où les gens puissent choisir plusieurs symboles et créer une composition avec. Dans mon travail, on retrouve principalement les mêmes symboles, que je mets en forme de manières différentes, selon la composition et le support. Je trouvais aussi que c’était un peu trop littéral de simplement reprendre ces symboles.
"Un symbole ne veut pas forcément dire un mot, mais un mot peut donner plusieurs symboles."
C’est à ce moment-là que j'ai fait une grosse introspection sur mon travail, j’ai voulu comprendre pourquoi j’utilisais tel symbole à tel moment. Ce qui en est ressorti, ce sont des mots. Un symbole ne veut pas forcément dire un mot, mais un mot peut donner plusieurs symboles. Pour le projet symbolisme, je pose donc 40 mots sur une table, les gens en choisissent 3, et en fonction de leurs choix, je vais réaliser plusieurs dessins, pour ensuite évoluer vers un tatouage.
Tu as des personnages qui reviennent souvent dans tes créations, comme ceux avec deux faces. D'où cela vient-il ?
J’aime beaucoup travailler sur la dualité, ce qui crée l’équilibre. Nous avons tous cette ambivalence, cette part joyeuse et cette part sombre qui nous composent. Il n’y a pas de monde noir ou blanc, en réalité nous sommes tous un peu gris. Je pense que mon travail est beaucoup axé sur ça, ce qui peut expliquer pourquoi ces visages avec d’un côté une goutte et de l’autre une étoile, puissent souvent apparaître dans mes compositions.
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur l’endroit dans lequel on se trouve ?
C’est un atelier qu'on partage à plusieurs depuis 3 ans. D'un côté il y a un photographe qui s'appelle Thomas Pico. Et de l'autre, on a une partie à 3, avec Elliot Gamer et Samuel Eckert. Pendant longtemps je travaillais chez moi. J’avais un appartement avec un mur dédié à la peinture et mes créations. Je trouve qu’avoir un atelier partagé avec d’autres artistes crée une stimulation, cela permet d’échanger, de récolter des avis sur son travail, qu’ils soient bons ou mauvais d'ailleurs, ça permet d’évoluer.
Tu es également tatoueur, où peut-on te trouver ?
Dans le même principe, avec des amis on partage un salon dans le 11ème, qui s’appelle “De Profundis” vers le Père Lachaise. Cela fait 8 ans que je tatoue et à peu près 4 que nous sommes dans ce salon.
Le thème de notre collection, c’est « Erreur 404 », qu’est ce que ça peut t’évoquer ?
Quand je faisais du graphisme, je faisais beaucoup de sites internet. L’écho que ça peut me faire, “Erreur 404”, c’est qu’aujourd’hui ça représente bien le fait que je n’ai plus du tout envie de faire ça. Symboliquement, ça clôture un chapitre de ma vie.
Quel rapport tu entretiens avec le numérique ?
C’est étrange car j’en ai fait pendant longtemps, mais maintenant j'ai une aversion par rapport à ça. Je faisais tout de A à Z, le web design puis l’intégration du site. J’ai d’ailleurs réalisé il y a longtemps mon propre site internet, mais je n’ai plus envie de le retoucher. Quand il y a un bug, rien que de retourner dedans ça me déprime totalement. Le smartphone tout le temps dans notre poche, je pense que c’est le maximum que je puisse faire. Dès que je me retrouve devant un ordinateur, je ne peux plus passer énormément de temps dessus, et je me sens chanceux de ne avoir à le faire. Aujourd’hui dans la plupart des métiers, c’est de l’informatique à longueur de journée. J’en discutais d'ailleurs l’autre jour avec une cliente que je tatouais, au final, à passer une journée sur l'ordinateur, on rentre épuisés, alors qu'on a juste passé la journée devant un écran. C’est pour ça que l’on vit aujourd’hui une période où beaucoup de personnes se réorientent, changent de métier, car ils font un rejet du numérique. Ils souhaitent avoir un métier plus manuel, alors que ce sont des domaines qui ont beaucoup été dénigrés ces dernières années. Je dirais que j’ai un rapport un peu ambivalent, parce que d’un côté les réseaux sociaux sont nécessaires pour mon travail, mais de l’autre je ressens comme un dégoût, car j’en ai beaucoup fait avant.
C'est-à-dire que tu utilises les réseaux sociaux plus pour communiquer sur ton travail que par envie ?
Je poste principalement mon travail, car c’est ce que je trouve bien avec Instagram, qui est à la base un réseau social de l’image, même si aujourd’hui ça a beaucoup changé. Cela reste très utile et intéressant pour les personnes comme moi, qui ne savent pas trop comment communiquer, c’est un moyen de faire connaître son travail. Et on ne va pas se le cacher, sur les réseaux sociaux il y a un côté récompense. Il y a des études qui sortent là-dessus, qui démontrent que ça libère de la dopamine. C’est comme un jouet, tu joues en postant. Mais généralement je ne publie pas sur ma vie privée, je n’ai pas envie de rentrer dans ce système d’exposition où les gens savent à quoi ressemble ta copine, ou ce que tu as mangé.
Est-ce que tu as des projets en ce moment ou à venir dont tu peux nous parler ?
J’ai eu plusieurs expos en début d’année. En ce moment je suis plus dans la création d’objets, principalement en bois, et un peu de céramique. Je fonctionne par phases, je vais avoir mes phases peinture, dessin ou fabrication d’objets. J’aime beaucoup l’idée de créer une pièce à la fois unique et utile. J’ai une grosse inspiration d’art folklorique et d’art brut dans mes objets. C’est un domaine très intéressant, je découvre des artistes qui avaient une pratique de la céramique assez artistique, qui ont ensuite dérivé vers de l’art décoratif. Je trouve qu’il y a moins ce côté spéculatif du milieu de l’art, avec lequel je ne suis pas trop en accord.
"Je fonctionne par phases, je vais avoir mes phases peinture,
dessin ou fabrication d’objets."
Plus tôt, tu faisais un lien avec la musique. C’est quelque chose qui peut parfois être central dans l’inspiration. Te concernant, qu’est-ce que tu aimes écouter et qui te motive dans tes créations ?
J'aime quand il y a du rythme. Donc ça peut autant être de la musique électronique, que du hip hop, ou encore de la cold wave, new wave. Je ne suis pas très musique classique, ou jazz. En ce moment, je découvre de plus en plus de musiques africaines, autour de la période disco. Si je devais citer un projet que j’écoute pas mal en ce moment, je dirais l’album de Francis Bébey. Il s’appelle "Psychedelic Sanza" et il a été ré-édité par le label Born Bad Records, un label parisien. Il y a à la fois des paroles mélancoliques et aussi ce côté assez solaire de la musique africaine. Après j’écoute, je pense comme tout le monde, beaucoup de playlists, style Spotify, où maintenant tu ne te souviens plus du nom des artistes. C’est assez horrible, car avant je prenais le temps de digger, je téléchargeais beaucoup de sons. Mais aujourd’hui avec les playlists, tu reconnais les sons mais pas forcément les titres ou les artistes, c’est un peu dommage.
"Épigraphie" une exposition de Jim Kylam
Ça faisait longtemps que la boutique de rue de Montmorency n'avait pas accueilli d'événements ! On est donc très heureux de vous inviter au vernissage de l'exposition "Épigraphie" de l'artiste Jim Kylam, avec qui nous en sommes déjà à notre deuxième collaboration. L'artiste nous présentera à cette occasion une vingtaine de ses dernières créations sur bois.
Pour en savoir plus, cliquez sur la bannière juste au-dessus
Photographies : © Guillaume Landry
