Le rituel du Yorkshire
Alors que la voiture parcourait les routes sinueuses et étroites du Yorkshire, le paysage qui défilait n’en devenait que plus typique et ensorcelant. L’Angleterre, dont l’atmosphère particulière est difficile à décrire par le seul jeu des mots, fussent-ils bien choisis : des collines verdoyantes où se distinguent les courbures de forêts profondes et humides, des pâturages pentus et clôturés, bordés de haies touffues, où paissent quelques vaches, d’étroites routes serpentant au travers d’un paysage dont la gaieté mélancolique ne saurait masquer le côté rude et farouche d’une région à la fois sauvage mais accueillante.
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La voiture est, entre les bonhommes et les surfs, pleine à craquer, la musique qui jusque là motivait à prendre la route, à rester éveillé après la sortie du tunnel, à accompagner les discussions bruyantes et chargées d’éclats de rire, mue à l’image du paysage : plus posée, plus calme. Pour ces collines, elle doit se faire respectueuse. L’ambiance est elle aussi plus détendue : non pas qu’elle soit plus joyeuse, un road-trip entre amis est déjà une fête, une joie à la fois personnelle et collective, mais elle se veut plus intimiste. Plus anglaise. Finalement, on ne sait plus si cette paix intérieure qui envahit petit à petit les occupants de la voiture est due au voyage ou au paysage : certainement aux deux, tant la majestueuse présence du second donne au premier ce caractère si exceptionnel. Cette alchimie entre ce que nous voyons, ce que nous ressentons et ce que nous vivons donne à cet instant précis un caractère unique au road-trip : celui d’une parenthèse dans notre vie, sans que la violence silencieuse d’un quotidien morne et banal n’y puisse quelque chose. Puis viennent les villages, aux maisonnettes blanches regroupées autour d’une église sombre et moussue, hameaux dans lesquels trône fièrement l’inébranlable pub où se mêlent bières, rires bruyants et pleurs étouffés. Pub devant lequel on passe en attendant de pouvoir y rentrer. L’endroit dont on parle, l’endroit où l’on se parle. L’atmosphère y est aussi bien propice aux confidences qu’aux éclats, on y vient pour boire, pour voir.
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La mer est là, également. S’il est possible de l’occulter lorsque la bande regarde vers le pub, on ne l’oublie pas : elle est violente, froide, parfois calme, souvent agitée, à l’occasion démontée. Lorsque nous nous mettons à l’eau, c’est l’accomplissement : surfer ici, c’est surfer ailleurs. Pas de vent, les vagues s’enchaînent, un mètre cinquante, parfois plus, parfois moins. Peu importe, la bande est là, les collines, à la fois luxuriantes et déchirées, nous protègent du reste du Monde. L’eau est froide, très froide même, les conditions parfaites, les amis présents. Et après, il y a le pub.
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– Josselin Picard –