Tom Adams et son hypnotique et minéral « Silence »
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Des histoires hors du présent et hors du passé. Des histoires que le futur aimerait bien embrasser, les serrant jusqu’à épuisement. Heureusement, beaucoup de ces histoires sont comme des bulles temporelles, hors des faits actuels et proéminents, des bombes ceinturées et des hommes persécutés. Des histoires créant un monde de plus, un monde à nous, propre et meilleur, utopique et personnel, étirable à l’infini. Un monde infranchissable par les détracteurs.
Un monde gorgé de terreau où poussent de magnifiques échappées. Fleur bleue, d’une sensibilité mêlée de naïveté et d’un romantisme exacerbé, le travail musical de Tom Adams, auteur-compositeur berlinois, ne tient qu’à ces adjectifs. Loin d’être réducteur, « Silence » tient compte d’une assonance piano-voix aucunement régit par la gravité terrestre. Comme son nom l’indique, l’album laisse la place au temps, ne le martèle pas, ne le laisse filer, gaspiller. « J’ai écrit l’album peu de temps après avoir déménagé à Berlin où je me suis retrouvé pour la première fois embrassé par l’idée de bruit », m’explique Tom. « Dans le passé, j’ai toujours été concentré à essayer de rendre les choses parfaites dans ma musique, mais maintenant je commence à embrasser l’imperfection dans ce que je fais ; cela mène à une musique sensitive beaucoup plus intéressante et authentique. D’une certaine manière, je pense que ce mouvement géographique que j’ai fait d’un endroit rural paisible à la vitalité et à la liberté d’une ville comme Berlin est reflété dans mon approche de composition musicale. Le titre de l’album est sorti de cette ligne de pensée. »
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L’appel du premier titre « Come On, Dreamer », tout à fait bien-nommé, engage d’emblée la conversation. Une conversation sourde et rêveuse, mêlent des émotions au son d’une voix de falsetto, cristalline, nimbées de nuées électro-vaporeuses et d’une bruine de particules mélancolique. Bruine assurément adoubée par la pochette de l’album, par cette opacité aquatique d’une fin de chute, brumisateur géant venant d’un pays où la nature reprend ses droits les plus complets. « La photo a été prise en Islande. Je faisais un voyage de camping de trois semaines avec un ami (Dan Jeffries, la même personne avec qui j’ai mixé le disque) et cette photo est sortie de ce voyage. Je pense qu’une cascade est une belle métaphore pour le contraste entre le silence et le bruit que j’étudiais sur ce disque. Le silence est souvent défini comme étant ‘une absence totale de son’, mais je pense que dans la plus grande partie de notre vie, l’idée du silence ne peut jamais être perçue comme un état relatif, contrairement à un autre état de bruit en plus. »
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Une sorte d’esprit minéral hante « Silence ». Un esprit fait de cristal, d’eau douce et de pierre volcanique, laissant derrière lui une véracité mélancolique digne des plus belles plaines islandaises, là où les polarités naturelles cohabitent dans une plénitude immuable. Cette confrontation peut être transposé à celle de l’auteur : « Je vis dans une ville et le niveau de bruit de fond est très fort. Quand je suis dans la nature, ce qui me passionne, c’est le silence ; mais ce n’est vraiment pas le silence, ce sont des bruits différents, plus silencieux et plus naturels pour ceux de la ville. J’ai constaté que, peu importe le silence de la situation dans laquelle je suis, il semble toujours y avoir des sons sous les autres sons. Même dans une chambre anéchogène sans bruits extérieurs, vous commencez à entendre votre corps, vos battements de cœur. Nos cerveaux sont très bons pour régler les sons constants, tels que le bourdonnement d’un réfrigérateur ou la conversation de fond dans un bar. Peut-être dans une situation où il y a tellement de bruit que la seule chose que vous pouvez entendre est le bruit qui pourrait également être considéré comme un silence. »
Quand « Time » relâche son dernier souffle, la suspension est à son comble. Deux choses s’offrent alors à nous – soit de rester envahis, les yeux dans le vide, par les sublimes acouphènes des minutes passées, ou alors, réenclencher la lecture pour conjurer le sort de Tom Adams, le sort de son hypnose, son sortilège sonore qui mériterait que l’on soit bien plus souvent envouté.
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