UKNW SOUNDS : KEATON HENSON (UK)
Il y a des tourments dont on ne peut rien. Certains hommes sont prédisposés à l’angoisse, marqués par l’inquiétude, les soucis moraux, les passions violentes de l’existence. Certains deviennent fous, dérivent dans une spirale infernale et d’autres domptent ces malaises et expient d’éblouissantes œuvres à des fins salvatrices. Cette épuration entraine généralement un intérêt masochiste qui fascine et transcende notre morale. Parce qu’en réalité, on se complait à la souffrance des autres parce qu’elle nous permet de croire qu’on est heureux. Quoi qu’il advienne, on savoure pleinement en criant quelquefois au génie.
Keaton Henson est l’un de ces hommes torturés dont le génie ne cesse de grandir. Ce jeune barbu londonien est un musicien de folk-rock et poète à ses heures. A l’origine, Henson est illustrateur. Il a conçu les couvertures de divers CD, comme l’album ‘Take to the Skies’ de Enter Shikari. Puis il commence à enregistrer des musiques munies de sa guitare dans son appartement londonien, en autarcie. Encouragé par son meilleur ami, qui est définitivement une source d’inspiration pour lui, il décide de mettre en ligne certains de ces titres. Après avoir vu les réactions positives des gens aux chansons, il enregistre son premier album ‘Dear…’.
Il ouvre ses obsessions et nous offre 10 titres intimes, un tord-boyau délectable, un cœur trop lourd à porter. Une voix aigüe toute en retenue surgit et nous frappe en plein cœur dès les premières notes. On pensera à Charon, Sarah Minor et Small Hands, punch émotionnel similaire à l’éclatement de ‘For Emma, Forever Ago’ de Bon Iver. Cet appel plaintif, ces douces mélodies toujours prêtent à glisser plus profondément dans son envoûtante tristesse, sont juste un prélude. Rien ne laisser envisager l’effroyable beauté, l’étouffante nébuleuse à venir.
Comme pour nous prouver que son désespoir est inépuisable, il nous dresse, un an après, le chef-d’œuvre ‘Birthdays’ où Henson déploie plus grande encore sa palette émotive, à faire briser un cœur de pierre. Une musique saturée d’une méticulosité extrême, voire obsessionnelle, parvient à contrôler l’abandon de son auteur, son dépit dans une transe délirante. Toujours avec 10 titres, il peint une fresque amoureuse désenchantée dans ‘You’, une amitié passionnelle dans ‘Lying To You’, une nostalgie épurée par l’ajout des cuivres dans ‘Sweetheart, What Have You Done To Us’. À force de retenue, l’esprit du poète se lâche, par surprise, au milieu des riffs suffocants des fiévreuses ‘Don’t Swim’ et ‘Kronos’ pour revenir en douceur avec la lumineuse ‘In The Morning’. Musicalement plus diversifié, ‘Birthdays’ se veut aussi plus mature et ample, surement du au fait qu’il soit sorti de sa bulle londonienne pour enregistrer à Los Angeles.
Parallèlement, cela ne l’empêche pas d’exposer à Londres ses dessins et lithographies qui reflètent, plus brutalement cette fois, le malaise et l’émoi d’un homme encore terrifié par les maux de l’enfance, entre réalité et imaginaire, avec une forte présence de la nature, préférant les conifères au saule pleureur. Il publie aussi un roman graphique ‘Gloaming’ traduisant la même obsession, celle du monde de l’esprit au-delà de notre réalité, s’inspirant du folklore scandinave et des histoires de fantômes japonaises (cf. les films de Miyasaki).
Humble, franc et sensiblement touchant, le plaidoyer déchirant de Keaton Henson frappe violemment votre conscience et vous possède irréversiblement. Son doux venin fait l’effet d’une drogue. Bonne chance parce qu’on devient vite accro !
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