UKNW SOUNDS : MODERAT (Allemagne)
À moins d’être tenté par la vague Kalkbrenner et d’assumer totalement la techno minimale comme étant l’origine sure de l’électro, d’autres facettes du genre, moins populaires en somme, dirigent l’autre versant électro d’une manière plus subtile et recherchée. Peu après l’écroulement du Berliner Mauer, la variante électro glitch émerge dans le Berlin des années 90 en plaçant l’esthétique de l’échec comme étendard. Plusieurs effets traduisent cette musicalité chaotique : sons maltraités, distorsion numérique, le bruit du matériel, sifflement de vinyles… Les adeptes ne se font pas attendre. Parmi eux, deux artistes sortent du lot, Apparat avec son électro ambiant et Modeselektor qui nuance hip-hop et électro house.
Après maintes productions, les deux princes de la musique de basse berlinoise nous concoctent la digne collaboration Moderat, singeant leur propre style au service d’une musique passionné et libre de toute prétention. Cette nuance aigre-douce, cette frontière entre les pulsations légèrement glauques d’Apparat et l’excitation vibrante de Modeselektor placent leur délectable réunion dans l’électronique délicate d’une pop sincère et de bon augure.
Le verset de leur déroutant premier single « Bad Kingdom » extrait de leur deuxième album II se place dans l’esprit blues downtempo de l’Australien Chet Faker. L’assortiment graphico-musical réalisé par le collectif Pfadfinderei sertit nos globes optiques d’une vision pop-art noire et blanche relatant l’histoire d’un jeune britannique happé dans un monde souterrain cupide et corrompu. La belle esthétique du clip peut conférer aux planches lithographiques de Charles Burns représentant les mutations grotesques des adolescents de son « Black Hole », sinon les toiles décrépies d’un Liechtenstein en perdition. Le reste de leur œuvre sonore sert ni plus ni moins de base lunaire, des pépites éparses (cf. Versions, Gita) gravitant autour du lancinant Milk qui durant 10 minutes nous persuade du meilleur comme du pire, entre écoulements laiteux et arrangements sismiques.
D’une main de maître maintenant bien rodés, les deux affreux Berlinois nous mettent face à nos éternelles convulsions, issues d’un acharnement hyperactif qui nous ferait danser ou éclater en sanglot. En espérant que ces spasmes soient plus durables qu’éphémères.