Valley Maker, la rencontre céleste d’un folk chamanique.
En ces temps où l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations, la nature prend une place considérable dans la pensée collective. Elle est arrivée à un tel point de fascination que le moindre parleur d’arbre, que l’on pouvait juger il y a quelques temps de tocard, peut aujourd’hui devenir l’une des figures d’une religion nouvelle. Si son dogme lui préconise d’enlacer un tronc pour en écouter couler sa sève, d’autres plus tenaces s’activent à mener une révolte nutritionnelle ou à naviguer sur les mers pour martyriser les pécheurs de thon rouge.
Même si au premier abord, les motivations du vegan et de l’écoterroriste paraissent éloignées, elles n’en reste pas moins proche dans leurs intentions : protéger et conserver la mère Nature. De ce fait, parce qu’il a toujours été plus ou moins l’un des reflets de monde actuel, l’art imbibe comme une éponge l’essence de ce combat envers nous-même, et d’une façon plus subtile, la musique s’empare de sa dimension poétique. On se rappelle qu’elle avait magnifiquement inspiré S. Carey sur son « Range of Light » ; de ces scintillements contemplatifs coulait une exaltation musicale puissante qui confortait la passion de l’auteur pour le naturaliste américain John Muir. Ou encore l’hallucinante synergie de Björk avec « Biophilia », œuvre majeure de l’auteur qui traduisait tout un concept musical à la fois complexe et fascinant autour la nature et de son fonctionnement.
La musique de Valley Maker prend la même direction. Son environnement sonore relève instinctivement la senteur de la Mère, des sapins qu’elle fait poussé, des brouillards qu’elle souffle délicatement et des paysages qu’elle dessine avec parcimonie. On n’explique pas cette impression d’immersion, cette projection mentale en des lieux contemplatifs et préservés que la musique d’Austin Crane nous oblige à vivre. Contacté par e-mail, le jeune américain a précieusement répondu à mes questionnements afin d’élucider quelques mystères (enfin presque). Les propos d’Austin ont tout de même eu le mérite de laisser intacte la magie contemplative de l’album, rendue tout de même un peu plus concrète mais toujours aussi fascinante : « Je trouve le paysage et la météo du Pacifique nord-ouest comme étant vraiment inspirants. Quand je marche autour de la ville, je vois des chaînes de montagnes, des étendues d’eaux, des arbres moussus, etc. Je pense qu’il est bon personnellement et pour la composition de mes chansons d’avoir des rappels naturels. Il est bon d’être entouré par la beauté et par des temps toujours changeants. Aussi idylliques que les étés sont ici, les hivers y sont très gris et pluvieux, ce qui peut être difficiles. C’est un défi artistique d’acheminer ces deux extrêmes au sein de la productivité créative. Se retrouver coincé au milieu de cet hiver a entrainé une grande quantité d’écrits et d’enregistrements. »
Le plus frappant est la manière dont Valley Maker mène aussi bien le fond que la forme. De ce fait, parce qu’il est plaisant de voir que beaucoup ne font pas de la musique uniquement pour que ça sonne bien, Austin Crane prend le côté sensitif et spirituel de sa vie quotidienne pour écrire son premier album « When I Was A Child » : « Dans ma lecture/expérience de la chanson, l’expression semble se référer à l’acte de création, ou à la présence d’un créateur, par rapport à la beauté et à la futilité intermittentes de la vie ; elle héberge une conscience de l’extrémité, mais veut s’asseoir avec des questionnements et exister dans le présent. » Cette élégie personnelle prend ensuite le pas sur une manière plus nostalgique de traiter ses influences et ses expériences passées, comme nous l’indique le titre de l’album : « Musicalement je dirais que mes plus grandes influences sont des compositeurs qui ont une certaine honnêteté, ou plutôt un engagement honnête avec les mystères de la vie dans leur écriture et compositions musicales. Cela semble peut-être ésotérique, mais je ne pense pas que la qualité musicale doit être intellectuelle ; c’est quelque chose qui doit être sentie comme beaucoup d’autre chose. Pour moi, cette qualité honnête vient souvent d’un enracinement de certains endroits et expériences. D’une manière primordiale, je pense qu’elle est au sujet de l’écriture qui crée un espace que l’auditeur habite avec ses propres questions, doutes, et expériences. J’ai grandi en écoutant un genre de musique religieuse commerciale qui se voulait très propositionnel – comme si elle avait été créée pour t’enseigner des leçons et pour renforcer ce qui est déjà connu. En vieillissant, j’ai commencé à écouter des compositeurs classiques comme Bob Dylan, Neil Young, et Townes Van Zandt, aussi bien que des compositeurs plus contemporains comme Jason Molina, Joanna Newsom, Chan Marshall, Will Oldham, et Bill Callahan. C’est avec eux que j’ai compris ce que je voulais faire musicalement. »
Au fil de l’interview, les mots d’Austin ont pris une autre résonnance. Mes souvenirs de mélomanes ont soudainement rapproché son approche musicale à celle de Sufjan Stevens, tant les deux prennent considérablement la musique comme une thérapie à part entière, faites de croyances et de vieux démons ; thérapie que l’on peut à la longue considérer comme occulte mais qui se veut moins hostile et inaccessible qu’elle n’y parait. Tout cela s’est bien sûr confirmé : « Je pense que son dernier album, « Carrie & Lowell », est un exemple magistral de ce genre de composition ; son honnêteté est désarmante et sa manière d’écriture/composer à créer un tel espace que je pourrais l’habiter avec mes propres expériences de peine, de perte, de foi, de doute et tout un tas d’autres questions. Je me rappelle vivement différents moments passés avec ce disque : m’allonger sur mon canapé et écouter mon dernier achat, conduire avec mon épouse à travers le parc national de mont Rainier en écoutant le disque en entier dans une compréhension partagée, aller l’écouter en live avec 2.000 autres personnes à Seattle en étant stupéfié par la façon dont la salle dégageait une sentiment d’unité. »
« La musique est vraiment une entité mystérieuse – j’ai toujours aimé comment nous associons la musique aux endroits, aux expériences et aux moments de la vie. J’aime combien, lorsque on écoute un morceau des mois ou des années après, celui-ci peut nous ramener à une moment précis dans l’espace-temps, sans doute un moment partagé avec d’autres personnes ou juste un moment important que vous avez eu pour vous-même. Ainsi je suis inspiré par la composition qui exploite ce genre de qualité transportée et mystérieuse – des chansons qui me donne l’expression de n’être pas seul dans mes pensées et mes expériences, des chansons qui me prodiguent un espace propre à la contemplation, et qui engagent honnêtement des processus d’action, pas simplement des conclusions. » Sur cette belle vision de l’art musical, Valley Maker assure qu’il fait décidemment parti de ses projets si rares qu’ils en deviennent précieux. Pauvrement valorisés et mal considérés dans la tourmente médiatique, Internet regorge ainsi de somptueux trésors : « When I Was A Child » est un bijou à l’état pur. Faite de mouvances spirituelles et mélancoliques, marqué au fer dans les divines « Oh Lightning », « Only Friend » et « Something Like Someone » (entre autres merveilles), la voix d’Austin Crane possède le ton singulier d’un jeune chaman, comme de celui qui libère des vérités extralucides sur le monde et qui rentre dans des transes effrayantes mais exaltés. Ses chansons créent de la stupeur, déstabilisent et réveillent un trop plein d’émotions incontrôlables, délectables et étourdissantes. Peut-on parler de transcendance ? Je pense que oui.
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Texte et propos recueillis par Julien Catala.
Je remercie chaleureusement Austin Crane pour son honnêteté, sa gentillesse et son génie.
L’album « When I Was A Child » est disponible depuis le 25 septembre 2015 chez Brick Lane Records.
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